lundi 23 juin 2014

Faouzi Lamdaoui, la nouvelle affaire qui inquiète l'Elysée, MEDIAPART 23 JUIN 2014 | PAR LÉNAÏG BREDOUX ET EMMANUEL MORISSE

Le 11 juin, Faouzi Lamdaoui, conseiller à l'Élysée et très proche de François Hollande, a été entendu par les policiers qui le soupçonnent de « recel d'abus de biens sociaux » et de « fraude fiscale ». En cause : une myriade de sociétés dont il a été soit l'associé, soit le gérant, soit le directeur, dont deux ont fait l'objet de procédures judiciaires.

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Redressement fiscal, changements incessants de gérants et d'associés, radiations régulières, comptes jamais déposés : Mediapart a découvert que Faouzi Lamdaoui, actuellement conseiller à l'Élysée, a été au cœur d'un labyrinthe de sociétés dont la gestion suscite des interrogations. Deux d'entre elles font l'objet de procédures judiciaires. 

Mercredi 11 juin, ce proche de François Hollande a été entendu pendant plusieurs heures par les policiers avec, selon une source judiciaire, le statut de « mis en cause », et non avec celui de simple témoin évoqué par plusieurs médias. Ce statut, à mi-chemin entre le témoignage et la garde à vue, suppose l'existence d'éléments pouvant attester d'une infraction.

Les enquêteurs de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales de Nanterre soupçonnent Faouzi Lamdaoui de « recel d'abus de biens sociaux » et de « fraude fiscale » dans le cadre de deux SARL, Alpha Distributions et Alpha (devenue Cronoservice) auxquelles il est lié, comme l'a révélé L'Express. La police et la justice le soupçonnent également d'en avoir été le « gérant de fait », dans le cadre d'une enquête préliminaire ouverte sous l'autorité du parquet de Paris en 2013.

Des accusations que Faouzi Lamdaoui rejette par l'intermédiaire de son conseil, l'avocat d'affaires Ardavan Amir-Aslani (voir notre boîte noire). « Il n'y a eu aucune fraude, de quelque nature que ce soit », explique-t-il. Selon Me Amir-Aslani, son client « n'a jamais assuré la gestion des deux sociétés mentionnées, ni de près ni de loin, ni directement, ni indirectement ». Il indique également que « la non-déclaration de revenus n'est pas de la fraude fiscale, qui suppose un montage ».

François Hollande et Faouzi Lamdaoui, au premier planFrançois Hollande et Faouzi Lamdaoui, au premier plan © Reuters

Les liens du conseiller élyséen avec ces deux sociétés sont pourtant très étroits. Et, documents à l'appui, Mediapart a découvert que Faouzi Lamdaoui, qui se présentait régulièrement comme « ingénieur logisticien » avant d'entrer à l'Élysée, a été au cœur d'une myriade de petites sociétés, des SARL (sociétés à responsabilité limitée), dont il a été soit l'associé, soit le gérant, soit le salarié entre le début des années 1990 et 2012. Selon notre décompte, il a eu des liens avec au moins huit entreprises, dont deux ont fait l'objet d'une procédure au tribunal de commerce.

Toutes ces sociétés ont de nombreux points communs. Elles sont presque toujours enregistrées à la même adresse, dans le XXe arrondissement de Paris, auprès d'une société de domiciliation d'entreprises. La plupart proposent des services proches, notamment « import-export, messagerie 2 roues, prestations de services en gestion, rédactions d'actes et formalités administratives » ou du transport. Leurs fondateurs, leurs associés ou leurs gérants sont régulièrement les mêmes. Leurs noms se ressemblent (Alpha, Alphas, Alpha distributions, Alpha SVE, Alpha services…). Et toutes sont liées à Faouzi Lamdaoui, avec ses deux prénoms (Mohamed Faouzi), ou avec l'un des deux. Ces SARL ne déposent presque jamais leurs comptes annuels. Il s'agit pourtant d'une obligation légale.

La 1re page des statuts constitutifs d'Alpha distributionsLa 1re page des statuts constitutifs d'Alpha distributions

L'une d'elles, dans le viseur des enquêteurs, a d'ailleurs fait l'objet d'une lourde condamnation prononcée par le tribunal de commerce. Il s'agit d'Alpha distributions, créée en 2006 par Faouzi Lamdaoui à parts égales avec un autre associé pour proposer de l'import-export, un service de coursiers, des services de « gestions d'entreprises » et de« vente en sous-traitance aux entreprises de travaux photos et périphériques ». Trois ans après sa création, Alpha distributions a attiré l'attention du fisc, qui a fini par saisir la commission des infractions fiscales, chargée de se prononcer sur l'opportunité de poursuites judiciaires.

Le 1er février 2010, dans une lettre que Mediapart a pu consulter, cette commission explique au gérant de l'époque que le fisc le soupçonne d'avoir « volontairement soustrait la société à l'établissement et au paiement partiel de la taxe sur la valeur ajoutée (…), total de l'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos les 31 décembre 2006 et 2007 ». En clair : il s'agit de soupçons de fraude à la TVA et de fraude à l'impôt sur les sociétés.

Dans le jugement prononcé un an plus tard par le tribunal de commerce de Paris, il est précisé que le « redressement fiscal associé au rappel de TVA » atteint « 981 432 € pour la période du 1er juillet 2006 au 31 décembre 2007 ». À cette époque, Faouzi Lamdaoui dispose d'un contrat de travail, et touche entre 7 000 et 8 000 euros brut par mois comme « directeur logistique » d'Alpha, si l'on en croit les documents que Mediapart a consultés. Surtout, il est au cœur d'un micmac sur les associés et les gérants de la société.

Officiellement, Faouzi Lamdaoui vend ses parts en décembre 2006, soit cinq mois après la naissance d'Alpha distributions. Pourtant, la cession n'est enregistrée au greffe qu'en février 2009 et constitue même le dernier document déposé avant la liquidation judiciaire. Plus étonnant encore : alors qu'il est censé ne plus être actionnaire, Faouzi Lamdaoui continue à figurer en tant qu'associé sur les procès-verbaux de la SARL datant de 2007 et 2008. Cette dernière année est d'ailleurs riche en assemblées d'actionnaires puisque Alpha distributions change trois fois de gérant en trente jours après le départ du premier patron !

Finalement, à la barre du tribunal en 2010, c'est au dernier gérant officiel d'Alpha distributions, M. B., né en 1925, qu'il est reproché d'avoir « fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font l'obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière ». Une partie des faits reprochés sont antérieurs à sa nomination, mais il est définitivement condamné à sept ans d'interdiction de gestion, dans des termes qui rappellent étrangement un précédent jugement de première instance, cassé en appel.

Ce précédent jugement date de 1998 et vise directement Faouzi Lamdaoui. C'était au début des années 1990 avec « Starter SARL » pour du transport de courrier et de colis. Lamdaoui en devient l'associé et le gérant en 1992. Mais après quelques mois, la société est placée en liquidation judiciaire et une procédure est engagée. Il manque dans les caisses de l'entreprise « environ 1 051 224 F » (francs), selon le tribunal de commerce de Paris.

Selon le jugement rendu le 8 juin 1998, consulté par Mediapart, la justice reproche aux deux derniers gérants d'avoir « tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de la personne morale ou s'être abstenu de tenir toute comptabilité conforme aux règles légales », d'avoir « omis de faire dans le délai de quinze jours la déclaration de l'état de cessation de paiements » et de ne pas avoir« collaboré au bon déroulement de la procédure » judiciaire. Aucun des deux cogérants ne s'est présenté au tribunal. Faouzi Lamdaoui et son comparse sont condamnés à lafaillite personnelle pour quinze ans. Une sanction particulièrement sévère, qui empêche notamment de gérer une entreprise et vaut inscription au casier judiciaire.

Mais un an plus tard, le futur conseiller de François Hollande sort blanchi de la cour d'appel : d'abord parce que le tribunal a jugé que les convocations au tribunal n'avaient pu lui parvenir en raison d'un déménagement ; ensuite parce que Faouzi Lamdaoui n'était resté que quelques mois gérant et associé de Starter. Une période qui, malgré les difficultés déjà patentes de la SARL, n'a pas été prise en compte dans la procédure judiciaire.

« En définitive, il n'y a pas lieu à sanction personnelle à l'encontre de M. Lamdaoui », conclut la cour d'appel le 17 décembre 1999. Reste qu'à compter de cette date, le militant socialiste n'apparaît plus jamais officiellement comme gérant des SARL qu'il crée et dont il est le directeur logistique ou « technique et commercial ». « M. Lamdaoui est un apporteur d'affaires ; il ne s'occupe jamais de la gestion. Si ces affaires tournent mal ou qu'elles sont gérées par des amateurs, M. Lamdaoui n'a rien à y voir », jure son avocat Ardavan Amir-Aslani.


«J'avais une petite boîte de conseil en logistique»

Les enquêteurs s'intéressent aussi à Alpha, une société créée en 2008, en cessation d'activité depuis le 30 juin 2012 et définitivement radiée en mars 2014, dont Lamdaoui a été associé et salarié. Cette SARL a changé de nom (elle devient Cronoservice) au fil du temps, mais aussi d'adresse de domiciliation, d'associés et même de fonction. Lamdaoui continue d'en être l'associé et l'un des cadres jusqu'au 31 décembre 2011. L'année précédente, ils ne sont que deux salariés déclarés, pour un chiffre d'affaires non négligeable, de près de 390 000 euros, après une année 2009 particulièrement impressionnante (610 100 euros de chiffre d'affaires), selon les seuls comptes déposés par cette société. À l'été 2011, Faouzi Lamdaoui produit des fiches de paie de 6 700 euros brut mensuels comme « directeur logistique » de Cronoservice.

François Hollande et Faouzi LamdaouiFrançois Hollande et Faouzi Lamdaoui © Facebook de Faouzi Lamdaoui

À cette époque, il est pourtant déjà pleinement investi dans la campagne de la primaire de François Hollande : il est chargé des relations avec la presse, il est de tous les déplacements et est de permanence aux côtés du candidat du PS. « Faouzi Lamdaoui, c'est l'ombre du candidat. Celui qui va le chercher à son domicile parisien, le matin. Qui lui apporte des costumes, qui s'occupe des rendez-vous chez le coiffeur, chez l'opticien, qui commande une moto-taxi. "Un organisateur très efficace", apprécie Hollande », qui le nommera chef de cabinet de sa campagne présidentielle fin octobre 2011, raconteL'Express à l'époque« Sa disponibilité est totale. Comment fait-il? Lamdaoui est ingénieur logisticienpoursuit l'articleOù ? "J'évite de le dire, pour que cela ne cause pas de problème à mon entreprise" », affirme alors Lamdaoui.

Dans la presse, le militant socialiste n'évoque pas les entreprises qu'il contribue à lancer. Il ne dit pas non plus qu'il est déclaré comme profession libérale depuis 1992 comme « conseil en relations publiques et communication ».

© DR

Ce n'est que dans le livre de Franz-Olivier Giesbert, Derniers carnets – Scènes de la vie politique en 2012 (et avant), que ce très proche de Hollande livre une autre version dans laquelle il sous-entend cette fois être son propre patron : « J'avais une petite boîte de conseil en logistique. J'ai tout laissé, je n'ai plus roulé que pour François en faisant tout, la presse, le chauffeur et le reste. Je me suis défoncé. J'y croyais tellement, j'ai mis toutes mes économies dans la campagne des primaires. »

À cette époque, Faouzi Lamdaoui est déjà visé par deux plaintes. La première, pour travail dissimulé, a été déposée en 2009 par Mohamed Belaïd qui a œuvré plusieurs mois aux côtés de Faouzi Lamdaoui et fait, entre autres, office de chauffeur pour le futur président de la République. Longtemps, personne – ou presque – ne l'a cru et Lamdaoui et ses proches ont tout fait pour le discréditer, le menacer, voire le faire passer pour fou, selon son avocat Nicolas Cellupica. Sa plainte a été classée sans suite mais un recours doit être examiné en septembre.

C'est sur la foi d'une seconde plainte, déposée cette fois par l'ex-épouse de Mohamed Belaïd, que l'enquête progresse aujourd'hui. Elle accuse Faouzi Lamdaoui d'avoir usurpé son identité pour la nommer gérante de la société Alpha. La plainte date elle aussi de 2009 et est restée dormir dans les tiroirs policiers durant trois ans. Ce n'est qu'en 2012 que la plaignante a été auditionnée par les policiers, avant l'ouverture d'une enquête préliminaire l'an dernier.

Outre Alpha Distributions et Alpha/Cronoservice, les enquêteurs pourraient décider de se pencher sur Alphas, une société initialement nommée ABS Services et fondée en 1997. Selon des documents consultés par Mediapart, Lamdaoui en a été salarié en 1999, 2004, 2005 et 2006 avant que celle-ci ne disparaisse en 2011 sans avoir jamais déposé ses comptes. Dans l'intervalle, c'est Alpha SVE, créée en 1999, domiciliée à la même adresse qu'Alpha et Alpha Distributions, qui a salarié Lamdaoui en 2000 avant de mettre la clé sous la porte en 2004. En remontant encore dans le temps, on retrouve également une SARL dénommée Alpha Services dont Lamdaoui a été salarié en 1997 et 1999.

Il y a dans ce maquis de sociétés éphémères aux noms voisins un trait d'union et une cohérence. Le trait d'union, c'est Faouzi Lamdaoui ; sur huit sociétés recensées, il n'y en a pas une dont il n'ait pas été associé, gérant et/ou salarié. Quant à la cohérence, elle se niche dans la répétition à cinq reprises d'un mode opératoire en trois temps : tout commence avec la création d'une SARL – avec parfois Faouzi Lamdaoui comme associé, ou un membre de sa famille. Peu de temps après, survient l'embauche du futur conseiller de François Hollande. Mais lorsque l'entreprise cesse son activité, il l'a déjà quittée, en ayant revendu ses parts s'il en détenait, et en a créé une autre qui va, à son tour, l'embaucher puis disparaître. Et ainsi de suite jusqu'en janvier 2012, date de son embauche par l'Association de financement de la campagne de François Hollande. Depuis mai 2012, Faouzi Lamdaoui est rémunéré comme conseiller à l'Élysée, chargé de l'égalité et de la diversité.

Avec Stéphane Le Foll, Frédéric Cuvillier et Kader Arif, dans le bureau de Faouzi Lamdaoui à l'ElyséeAvec Stéphane Le Foll, Frédéric Cuvillier et Kader Arif, dans le bureau de Faouzi Lamdaoui à l'Elysée © Page Facebook de Faouzi Lamdaoui

Cette myriade de sociétés et de contrats donne le tournis. D'autant plus qu'il s'agit d'un des plus proches collaborateurs du président de la République, déjà ébranlé par les révélations sur son ancien ministre du budget Jérôme Cahuzac, démis de ses fonctions après l'ouverture d'une information judiciaire, et, plus récemment, par celles visant son conseiller politique Aquilino Morelle. Cette fois, c'est une pièce maîtresse de la "hollandie" qui est visée – « l'âme damnée » de Hollande, selon un de ses surnoms moqueurs au Parti socialiste. Non pas tant pour les fonctions qu'il occupe actuellement que pour le rôle qu'il a joué auprès de François Hollande depuis le début des années 2000.

C'est sans doute une des raisons de sa longévité au cabinet du président de la République. Et ce, malgré les récents mouvements à l'Élysée et la gravité des soupçons des enquêteurs. Interrogé à ce sujet par Mediapart, l'entourage de François Hollande répond d'une phrase aussi sibylline que formelle : « L'enquête préliminaire qui a été ouverte sur les sociétés dans lesquelles M. Faouzi Lamdaoui a travaillé dans le passé doit être conduite dans les règles fixées par la loi, c'est-à-dire en respectant sans restriction la présomption d'innocence et sans qu'aucune intervention ne puisse contrarier la manifestation de la vérité, dans l'attente d'une décision au terme de cette enquête. »

samedi 21 juin 2014

Les étudiants qui votent FN de plus en plus nombreux et décomplexés


Par Nathalie Brafman, Isabelle Rey-Lefebvre, 
21.06.2014 à 18h25

Jusqu'à il y a peu, les sympathisants d'extrême droite étaient peu visibles sur les campus.

AUREL

Petit à petit, les idées du Front national s'installent dans les universités. Certes, la présence du parti de Marine Le Pen reste encore discrète mais, fait nouveau, les étudiants qui votent pour lui ne cachent plus leur appartenance, même dans des établissements réputés très à gauche, comme Paris-X-Nanterre, Paris-VIII-Saint-Denis.

Un phénomène jugé « logique » par Sylvain Crépon, sociologue et chercheur à Paris-X-Nanterre, vis-à-vis d'un parti qui s'est lancé dans une stratégie de dédiabolisation. Aux élections européennes, le vote FN a recueilli 30 % de ses voix chez les moins de 35 ans.

S'il y avait jusqu'à présent, comme le rappelle le politologue Dominique Reynié, une sur-représentation du FN chez les jeunes non diplômés, on constate aujourd'hui une présence croissante parmi les jeunes diplômés qui ont le sentiment d'être déclassés. « Dans un pays fermé à l'ouverture aux nouvelles générations et aux entrants dans le système, les idées du FN peuvent trouver leur place à l'université », dit-il.

POUR APPROFONDIR

Lire notre enquête : Cette jeunesse que le Front national n'effraie pas

Pour diffuser leurs idées, les étudiants qui s'affichent FN surfent sur la dépolitisation de leurs condisciples et l'entreprise de lissage de Marine Le Pen.« Il ne s'agit pas forcément de revendiquer notre appartenance FN mais de ne pas la cacher lorsqu'on discute entre étudiants », explique Jordan Bardella, 18 ans, étudiant en première année de licence de géographie à Paris-IV-Sorbonne.

ASSUMER CE CHOIX EST PLUS SIMPLE QU'AVANT

Et manifestement, assumer ce choix est plus simple qu'avant. « Certains adultes me racontent que lorsqu'ils faisaient leurs études, ils n'affichaient pas trop leurs affinités politiques. Aujourd'hui, c'est plus décomplexé car le FN est vu comme un parti comme un autre, avec des citoyens lambda qui ont juste envie de se battre », affirme le jeune homme encarté à 16 ans.

Il existerait donc une certaine indifférence, voire une plus grande acceptation du vote FN sur les campus.« Ce que l'on voit, ce sont des étudiants qui assument ce choix, mais aussi de plus en plus d'étudiants qui disent se reconnaître dans les idées du FN. Et c'est très sensiblement supérieur à ce que l'on avait pu constater pour les élections précédentes », affirme Sacha Reingewirtz, président de l'Union des étudiants juifs de France, qui combat le FN.

Même constat pour Patrick Vassort, professeur de sociologie à l'université de Caen : « Les étudiants sont décomplexés, certains défendent des positions virulentes. Cela n'existait pas il y a encore quelques années. » Pour Gilles Parmentier, 21 ans, étudiant en troisième année de licence de science politique à Paris-VIII-Saint-Denis, il n'y a aucune raison de se cacher. « Moi, je dis ouvertement que je suis FN. Je ne vois pas pourquoi je ne défendrai pas mes idées et mon parti. » Il aurait du mal à le cacher : il a été candidat sous la bannière du parti frontiste aux dernières élections municipales à Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne). Mais cette exposition politique a un prix : sur les murs de la fac, accolé à son nom, le mot « facho » a été tagué.

MULTIPLICATION DE TAGS D'EXTRÊME DROITE

Ce basculement des étudiants vers le FN, Camille Froidevaux-Metterie, professeure de science politique à l'université de Reims, a pu l'observer. Depuis dix ans, elle les sonde avant chaque échéance électorale. En mars, juste avant les municipales, elle a organisé une simulation de vote pour ses 150 étudiants de première année de licence de droit. Le vote a eu lieu à bulletin secret. « Ce fut un vrai choc » : 30 % des voix sont allées au FN.« Lorsque j'ai commencé ces simulations, ils se comptaient sur les doigts d'une main, puis des deux mains et aujourd'hui… »

Elle se souvient que, au moment du dépouillement, il y avait une vraie« émotion ». Les étudiants présents étaient « effondrés », certains au bord des larmes. « Au premier tour, l'UMP et le FN sont arrivés en tête. Au deuxième, ceux qui n'avaient pas voté FN au premier se sont lâchés », raconte Younès Zakari. Ce militant des jeunesses socialistes et de l'UNEF estime que la parole s'est libérée à l'occasion de la loi sur le mariage pour tous. C'est aussi à cette période que des affiches et des tags de groupuscules d'extrême droite ou religieux intégristes se sont multipliés sur les murs de certains campus – Bordeaux, La Rochelle, Clermont-Ferrand, Toulouse…

Comment expliquer l'émergence de cette génération FN ? « C'est une génération qui n'a pas connu le choc du 21 avril 2002. Elle n'a pas été marquée par un sursaut républicain et un élan de la jeunesse antifasciste. Elle est aussi arrivée à l'âge adulte en pleine crise économique, sociale… », avance Camille Froidevaux-Metterie.

« PAS VOCATION À S'INSTALLER DANS LES UNIVERSITÉS »

Pour autant, entre assumer son vote, discuter entre étudiants, argumenter et organiser des actions militantes et des listes étudiantes, il y a un gouffre. « Le FN n'a pas vocation à s'installer dans les universités », affirme ainsi Jordan Bardella. Pour diffuser ses idées, Marine Le Pen compte sur le Collectif Marianne, un think tank étudiant. Créée en mars et associée au Rassemblement Bleu Marine, cette structure revendique une centaine de membres.

Sur son site Internet, elle a déjà pris des positions sur la nécessaire sélection à l'entrée des universités, la fin des bourses au mérite… « Des sujets sur lesquels on ne nous attend pas forcément, mais qui touchent le quotidien des étudiants », dit David Masson-Weyl, étudiant à Paris-II-Assas et par ailleurs président de ce collectif.

POUR APPROFONDIR

Lire notre post de blog : Un « national-bolchévique » chez les enseignants bleu Marine

A la rentrée, le Collectif Marianne veut passer à la vitesse supérieure. « Dès septembre, nous allons tracter dans les universités. » Avec sans aucun doute l'objectif que les idées et les propositions du FN se diffusent avant l'échéance présidentielle de 2017.

21.06.2014 à 18h25

Nathalie Brafman
Isabelle Rey-Lefebvre

jeudi 19 juin 2014

Il n’y aura pas de militaires algériens le 14 juillet à Paris» Wed, 18 Jun


Depuis une dizaine de jours, des militants du parti extrémiste, le Front national, et des familles de harkis s'organisent en Franceautour d'un collectif pour empêcher ce prétendu défilé de troupes algériennes sur les Champs-Elysées.

Présents ou pas ? Depuis quelques jours, la polémique enfle, notamment en France, à propos de la présence de militaires algériens au défilé du 14 Juillet, jour de la Fête nationale française, qui coïncide cette année avec la célébration du centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale.

Si les autorités françaises ont annoncé, du bout des lèvres, que trois militaires algériens seraient présents à cette cérémonie, les autorités algériennes sont plutôt nuancées.

«Aucune présence algérienne prévue à cette cérémonie», indique une source du ministère de la Défense nationale.

«Il n'y a ni défilé militaire ni présence symbolique», insiste encore notre interlocuteur, qui a requis l'anonymat pour sans doute ne pas court-circuiter un éventuel communiqué du ministère de la Défense.Depuis au moins une dizaine de jours, des militants du parti d'extrême droite, le Front national en l'occurrence, et des familles de harkis s'organisent en France autour d'un collectif «pour empêcher le défilé de troupes algériennes aux Champs-Elysées».

L'agitation de ces nostalgiques de l'Algérie française et autres révisionnistes ne vient pas ex nihilo.

Tout commence par une déclaration du ministre français de la Défense, Jean-Yves le Drian.

«C'est une preuve que nous sommes entrés dans une phase pacifiée avec l'Algérie», indique de son côté le ministère français de la Défense, cité par l'AFP.M.

Le Drian, qui s'est rendu en Algérie le 20 mai, «s'est fait confirmer par les autorités algériennes leur volonté historique d'y participer», dit-on également.

Mais tout comme la partie algérienne, les Français eux-mêmes s'expriment dans l'anonymat.

Seul le ministre français des Anciens combattants, Kader Arif, est allé dans le détail.

Mais l'AFP précise que c'est à travers «son entourage» que le ministre s'exprime.

«173 000 combattants qui habitaient l'Algérie sans distinction de confession sont venus combattre pendant la Guerre 14-18.

23 000 ont été tués, la France reconnaît le sacrifice de leurs pères et de leurs grands-pères», a-t-il argumenté.Par ailleurs, «il ne faut pas mélanger les conflits, il ne s'agit pas de la guerre d'Algérie», ajoute le ministre.

Ce dernier précise également, par le biais de son entourage, que «80 autres pays ayant participé à la Première Guerre mondiale ont également été invités cette année par le président de la République française».Du côté de la société civile algérienne, seul le secrétaire général de l'Organisation nationale des moudjahidine, Saïd Abadou, est sorti de sa réserve.

L'ancien ministre des Moudjahidine refuse toute manifestation de militaires algériens à côté de soldats de l'ancienne puissance coloniale.

«Il n'a jamais été question de présence de soldats algériens au défilé de la Fête nationale française.

Le sujet ne doit même pas être abordé tant que le sujet de la criminalisation du colonialisme n'est pas réglé», a indiqué Saïd Abadou au journal arabophone El Khabar.«On pourra imaginer un défilé militaire ensemble lorsque l'ancienne puissance coloniale présentera ses excuses pour les crimes commis en Algérie», a-t-il ajouté.

Une tempête dans un verre d'eau ? En tout cas, cette polémique prouve encore que le sujet de la mémoire reste toujours problématique dans les relations entre les deux pays.

vendredi 13 juin 2014

13.06.2014 à 11:27 A Béziers, Robert Ménard assoit son pouvoir LE MONDE Jean-Baptiste Chastand



 Robert Ménard, maire de Béziers, dans son bureau, le 11 juin.Julien Goldstein/Reportage by Getty Images pour "Le Monde"

Béziers (Hérault), envoyé spécial

Qu'y a-t-il de changé dans la vie des Biterrois depuis qu'ils ont élu Robert Ménard ? Le chômage bat toujours des records, le centre-ville se meurt toujours autant. Même le linge pend encore aux fenêtres, en dépit de l'arrêté municipal du nouveau maire élu avec le soutien du Front national dont toute la presse a parlé. Malgré cela, Jackie (qui n'a accepté de donner que son prénom), venue profiter de la douceur de cette fin d'après-midi de juin avec ses camarades retraités sur les allées Paul-Riquet, est formelle : « C'est plus propre, et maintenant je peux venir ici l'esprit tranquille. »

Une voiture de police est postée en permanence sur les « allées », et les SDF qui squattaient avec leurs chiens les marches du théâtre ont été délogés. D'ici quelques mois, les policiers municipaux devraient recevoir les renforts de dix agents supplémentaires, travailler toute la nuit, puis être armés. « Mais si nous sommes plus ici, c'est que nous sommes moins dans les autres quartiers », ne cachent pas deux agents en patrouille.

Qu'importe. L'essentiel est de donner l'impression que le centre-ville, qui s'est paupérisé et ghettoïsé ces dernières années avec l'arrivée de populations immigrées dans des logements dégradés, est de nouveau fréquentable. Si l'on y ajoute la baisse de 4 % des impôts locaux, payés ici par moins de la moitié des habitants, l'on comprend pourquoi M. Ménard bénéficie, deux mois après son élection, d'un véritable état de grâce.

« JE CROIS QUE LES BITERROIS SONT CONTENTS »

L'ancien président de Reporters sans frontières jubile : « Je crois que les Biterrois sont contents. On n'a jamais autant parlé de Béziers qu'en ce moment. Malgré votre idéologie dominante, vous avez des côtés positifs : au moins les gens savent que Béziers existe », lâche celui qui, presque chaque semaine, annonce une nouvelle mesure ciselée pour faire le « buzz » : interdiction aux moins de 13 ans de rester seuls dans les rues après 23 heures, interdiction des paraboles et du linge aux fenêtres dans le centre historique, proposition d'offrir des blouses aux écoliers…

Mais, en parallèle, M. Ménard coupe dans les dépenses. 400 000 euros destinés à financer la réforme des rythmes scolaires ont été supprimés, le budget du centre d'action sociale (CCAS) a été diminué de 5 %, alors qu'une baisse similaire avait déjà été décidée par l'équipe précédente. « Nous avons trouvé un moyen de faire la réforme des rythmes pour 50 000 euros, et le CCAS avait un surplus dont il n'avait plus besoin. Il n'y aura aucune baisse des prestations », promet M. Ménard. Il a toutefois décidé de réserver les garderies du matin aux seuls enfants dont les parents travaillent et de priver d'aides sociales les personnes qui ne se rendent pas aux convocations des « commissions de rappel à l'ordre », instances destinées à sermonner les auteurs de menues incivilités. « Vous ne pouvez pas mépriser la puissance publique tout en lui demandant de l'aide », défend-il.

Le personnel communal a reçu pour consigne de limiter les dépenses et les heures supplémentaires. Elles ne sont pas un « dû », proclame le nouveau journal municipal, calqué sur la maquette d'un tabloïd. « Il y avait bien quelques abus, mais ce n'était pas la majorité des cas. Cela laisse planer une suspicion malsaine », s'inquiète Yvan Vialettes, élu CGT de la ville, qui assure que sa base est « très inquiète ». Le débarquement du directeur de la police municipale au lendemain de l'élection de M. Ménard a été fait de « manière totalement illégale », juge M. Vialettes. « Il a fait une politique totalement contraire à ce que je veux mettre en place », se justifie le maire.

 Le 11 juin, comme tous les mercredis après-midi, Robert Ménard reçoit les citoyens de Béziers. Julien Goldstein/Reportage by Getty Images pour "Le Monde"

Pour l'heure, ces mesures ne semblent guère émouvoir l'électorat de M. Ménard. A Béziers, les bénéficiaires d'aides sociales sont majoritairement immigrés ou issus de l'immigration. Les propos racistes sont exprimés de plus en plus ouvertement. A l'image de ce bénévole des Restos du coeur, qui n'hésite pas à s'épancher sur ses bénéficiaires : « Jusqu'à 90 % de musulmans, qui ne travaillent pas et viennent juste bénéficier des aides sociales. Sans compter les Roumains… » Un peu partout, il suffit de tendre son stylo pour entendre des remarques similaires. « Depuis qu'il est élu, il y a une catégorie de gens qui pensent qu'ils peuvent l'ouvrir, ils se lâchent un peu », s'inquiète Aimé Couquet, le chef de file des communistes de la ville.

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Au vu du pedigree des deux plus proches collaborateurs du maire, André-Yves Beck et Christophe Pacotte, passés par le Bloc identitaire, les Biterrois issus de l'immigration pourraient avoir de quoi s'inquiéter. « Personnellement, je ne vois pas beaucoup de changements et je n'ai pas trop peur, même si j'ai une voisine qui s'inquiète et qui parle de partir », affirme Dounya, qui n'a pas souhaité donner son nom. Cette Franco-Marocaine de 27 ans, venue s'inscrire aux Restos du cœur, ne met « plus que des petites serviettes » à sécher aux fenêtres.

« HYPERMÉDIATISATION »

M. Ménard se prévaut toujours de l'ambiguïté de sa liste, seulement « soutenue » par le FN, et de ses collaborateurs aux parcours variés. Un de ses chargés de mission est socialiste. Et l'ancien « M. Météo » de TF1 et ancien communiste Michel Cardoze a accepté récemment de le conseiller « bénévolement »pour la création d'un festival autour du vin. Au Monde, M. Cardoze explique désormais « avoir été un peu naïf »« Si j'avais su le tam-tam que ça allait déclencher, y compris parmi mes amis, j'aurais peut-être pris une autre décision », assure-t-il, en refusant cependant de dire clairement s'il compte ou non stopper ses activités pour la mairie de Béziers.

M. Ménard a aussi réussi à s'entendre avec l'UMP locale pour gouverner l'agglomération, après avoir échoué à en prendre seul la présidence. Basée sur une répartition des postes, cette entente a toutefois laissé de côté la question du programme, alors que l'emploi, compétence de l'agglomération, est la première préoccupation des Biterrois. « Je mise sur le tourisme. Je rencontre beaucoup de chefs d'entreprise », promet M. Ménard. Ses opposants l'attendent au tournant. « Il y a une hypermédiatisation de toutes ses mesures. Mais au fond, jusqu'ici, il n'y a rien qui a changé à Béziers sur ces questions », juge Jean-Michel Du Plaa, conseiller municipal socialiste.