SOMMAIRE

Rechercher dans ce blog

samedi 5 mars 2011

Le débat sur l'islam a déjà lieu au sein de l'UMP

LEMONDE.FR | 24.02.11
"Poser un certain nombre de problèmes de fond sur l'exercice des cultes religieux, singulièrement le culte musulman, et de sa compatibilité avec les lois laïques de la République." Telle était l'ambition affichée par Jean-François Copé pour son débat sur la place de l'islam en France, qui doit se conclure par une convention le 5 avril. Des ambitions qui s'accompagnent d'une arrière-pensée admise à demi-mot par nombre de responsables de l'UMP : freiner la montée de popularité de Marine Le Pen à droite.

Mais à peine esquissée, l'idée a suscité des oppositions internes fortes. D'Alain Juppé à Rachida Dati, en passant par Christine Boutin ou Patrick Devedjian, des voix s'élèvent, de plus en plus nombreuses, au sein de l'UMP, pour dire que ce débat présente des dangers certains. Et tous de rappeler le fiasco du précédent débat sur "l'identité nationale". Lancé à l'automne 2009 par Eric Besson avec les mêmes objectifs, il n'avait pas freiné la montée du FN, bien au contraire : celui-ci avait effectué une remontée spectaculaire aux régionales de mars 2010. Depuis, il ne cesse de progresser.
Les partisans du nouveau débat, dont Brice Hortefeux, ont répondu à la critique.Pour le ministre de l'intérieur, il faut tirer "les leçons du débat sur l'identité nationale. Notre erreur à l'époque fut de ne pas dire clairement où nous voulions aller. Cette fois, il faudra aboutir à des solutions concrètes et acceptées par la communauté nationale".

Benoist Apparu, le secrétaire d'Etat au logement, le 17 novembre 2010 à Paris.AFP/LIONEL BONAVENTURE
ADAPTER LA LOI DE 1905 ?

Mais quelles sont ces "solutions concrètes" ? C'est toute la question, qui divise la majorité. Le débat se centre en effet sur un point : les "prières de rue" de certains fidèles musulmans dans quelques rares lieux en France, dont la rue Myrha à Paris (18e arrondissement), devenue pour l'extrême droite un symbole. Or, le plus souvent, les fidèles prient dans la rue non par envie ou défi, mais faute d'espace disponible.
Faut-il donc que la puissance publique construise des mosquées ? Certains à l'UMP le préconisent, à l'instar du secrétaire au logement, Benoist Apparu. Mais la loi l'interdit. En vertu du texte de 1905 sur la laïcité, l'Etat ne peut, en France, financer des lieux de culte. Pour M. Apparu, le pragmatisme doit l'emporter sur le symbole, et il faut "aménager", si nécessaire, cette loi.
Mais d'autres au sein du parti présidentiel sont d'un avis totalement opposé. Soit car ils considèrent la loi de 1905 comme un pilier de la République, à l'instar d'Eric Besson, pour qui il s'agit d'une "loi sacrée" ; ou encore car, comme François Baroin, ils estiment que, dans ce domaine, le principe doit être que les communautés de fidèles financent leurs lieux de culte, et qu'une modification de la loi reviendrait à "ouvrir la boîte de Pandore".
Autre réaction, plus virulente : celle du collectif La Droite populaire, qui regroupe les vingt-huit parlementaires de l'aile droite du parti. Pour eux, Benoist Apparu "prend le risque de mettre un terme à notre pacte majoritaire" avec son idée. "Alors que la France est accablée par les déficits publics et sociaux, nos compatriotes demandent aux ministres de gérer l'argent public dans l'intérêt général du pays et non de faire du prosélytisme", estiment-ils, menaçant même de faire défection du parti.

François Grosdidier, le député-maire UMP de Woippy (Moselle).AFP/JEAN-PIERRE CLATOT
FINANCER LA CONSTRUCTION DE MOSQUÉES ?
François Grosdidier, député UMP de Moselle aux prises de position le plus souvent peu islamophiles – il avait évoqué à l'Assemblée les "youyous" qui résonnaient dans la mairie de sa commune pour "un mariage sur deux" –, soutient au contraire Benoist Apparu.
Depuis longtemps favorable à une réforme de la loi de 1905, il s'interroge :"Comment peut-on demander aux musulmans d'édifier un 'islam de France' et non 'en France' tout en les obligeant à faire financer les mosquées par l'étranger ?" De fait, le financement privé des mosquées se fait parfois avec l'aide de fonds venus de l'étranger. Le roi Mohammed VI du Maroc a ainsi financé la construction de la mosquée de Clermont-Ferrand.
La députée du Haut-Rhin Arlette Grosskost campe, quant à elle, sur une position plus radicale encore. Elle suggère d'examiner les vertus du régime du concordat existant en Alsace – régime en vertu duquel la région finance et organise les cultes catholique et protestant –, et d'y intégrer l'islam. "Faisons l'expérience de l'intégration de l'islam dans le régime concordataire ! L'islam est la deuxième religion de France. Il faut arrêter de se fermer les yeux, on ne reviendra pas en arrière. Il faut permettre aux gens d'exercer leur religion dans des conditions dignes", estime la députée, qui ne se fait toutefois que peu d'illusions sur le succès de son idée.

Christian Estrosi veut faire interdire les prières de rue.AFP/ERIC PIERMONT
INTERDIRE LES "PRIÈRES DE RUE" ?

Certains députés ont une solution plus radicale : interdire purement et simplement les prières dans la rue. C'est la position du député-maire de Nice, Christian Estrosi."Prier, ce n'est pas manifester. C'est une affaire de conscience, pas de banderoles", expliquait-il à Nice-Matin le 18 janvier.
En droit, prier dans la rue est déjà interdit. Les quelques cas de prières musulmanes dans l'espace public se font en accord avec les pouvoirs publics, au même titre que d'autres manifestations religieuses.
Comme le note le pasteur Claude Baty, président de la Fédération protestante de France, "si on veut les interdire, c'est au titre du trouble à l'ordre public, pas au titre de la laïcité, ou alors il faut aussi interdire les processions catholiques".
EXIGER DES PRÊCHES EN FRANÇAIS ?
Autre cheval de bataille de l'UMP : exiger des prières en langue française. "Je vais prendre un exemple : les prêches des imams. En quelle langue ces prêches doivent-ils être faits ? On peut peut-être postuler que ces prêches devraient l'être exclusivement en français. Voilà une piste", a lancé Jean-François Copé. Thierry Mariani est du même avis : "La formation des imams ou le respect de la langue française doivent être des points-clés. Par définition, pour bâtir un islam de France, le français doit être la langue employée dans les mosquées."
Obliger un prêche ou une cérémonie religieuse à se tenir dans une langue précise nécessiterait une adaptation législative complexe : ne s'agirait-il pas d'une entrave à la liberté d'expression ?
Surtout, si les prêches et les rituels musulmans doivent se faire en français, il paraît logique que la même règle s'applique à toutes les autres religions... Les juifs prient ainsi en hébreu, et certains catholiques utilisent le latin pour leurs célébrations et leurs chants.
LES DOUTES GAGNENT DU TERRAIN DANS LA MAJORITÉ
Ces questions de fond sont donc loin de faire consensus. Mais ce débat est-il destiné à y répondre ? Certains semblent en douter, à l'UMP, et multiplient les mises en garde. Jeudi 24 février, Alain Juppé a rappelé sur France Inter : "L'islam a toute sa place en France. Il y a quatre à cinq millions de musulmans en France, ils ne sont pas tous pratiquants, mais ils sont musulmans et nous devons respecter leur religion." Pour l'ancien premier ministre, c'est "un principe républicain fondamental, la liberté de choisir sa religion et de la pratiquer".
Le président du Sénat, Gérard Larcher, estime pour sa part que "se focaliser sur le seul islam, ce serait faire une erreur par rapport au principe de laïcité", et "ce serait aussi oublier un certain nombre de pans qui concernent d'autres religions".

Samuel Laurent

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire