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lundi 24 décembre 2012

A Alger, François Hollande fait le pari de l'apaisement LE MONDE | 21.12.2012

A Alger, François Hollande fait le pari de l'apaisement

LE MONDE | 21.12.2012 à 12h00Par Isabelle Mandraud et Thomas Wieder - Alger, Tlemcen Envoyés spéciaux

C'est l'ultime image des deux hommes. Au dîner officiel qui marque, jeudi 20 décembre, la fin de la visite d'Etat de deux jours de François Hollande en Algérie, le président français et son homologue algérien Abdelaziz Bouteflika se tiennent par le bras. "On a un pacte tous les deux, je fais son éloge, il fait mon éloge", se réjouit, tout sourire, M. Bouteflika. La réconciliation voulue entre l'Algérie et la France passe, aussi, par cette complicité affichée.

A Tlemcen, située à 600 kilomètres au sud-ouest d'Alger et où François Hollande est arrivé dans l'après-midi, ce n'était que rues pavoisées de drapeaux français et algériens et routes jalonnées de grands panneaux à l'effigie des deux présidents. Dans cette ville "si chère" à son hôte, qui y a été élu pour la première fois député au moment de l'indépendance, "j'ai descendu les rues main dans la main aux côtés du président Bouteflika avec le sentiment de faire l'histoire", a souligné le chef de l'Etat français.

Tout au long de son voyage, François Hollande n'aura pas manqué une occasion de rendre hommage à son homologue, vantant ici son "mérite" pour le processus de réconciliation mis en œuvre en Algérie après la guerre civile qui a opposé les islamistes et l'armée dans les années 1990, louant là ses "mots" prononcés à Sétif, le 8 mai, quand il appela cette fois à une réconciliation avec la France, à travers une "lecture objective de l'histoire, loin des guerres de mémoire".

 

Valérie Trierweiler, Abdelmalek Sellal, le premier ministre algérien, et François Hollande à la résidence de l'ambassadeur de France, le 19 décembre à Alger.

Au terme de son troisième mandat au sommet de l'Etat algérien, et alors que les appels se multiplient pour qu'il en sollicite un quatrième, le président Bouteflika n'a pu qu'apprécier. Ne rien dire qui fâche, ne rien faire qui puisse gâcher les retrouvailles. François Hollande s'en est tenu à cette ligne.

Son discours, prononcé jeudi matin devant les parlementaires réunis au Palais des nations, à Alger, en fut l'illustration. Alors que l'évocation de la crise syrienne figurait dans la version écrite distribuée aux journalistes pendant qu'il était à la tribune, le président français a fait l'impasse sur ce dossier à propos duquel les avis de la France et de l'Algérie divergent. Paris a reconnu la coalition nationale de l'opposition comme "seule représentante légitime" du peuple syrien ; pas Alger.

Rien non plus sur le Sahara occidental : la France soutient la position marocaine, pas besoin d'y revenir. Le "printemps arabe", qui a épargné l'Algérie, a lui aussi été vite balayé : "Chaque pays doit trouver sa propre voie, et vous l'avez montrée", s'est contenté de dire François Hollande. Bref, le président a évité les sujets minés d'aujourd'hui pour mieux désamorcer ceux du passé.

Il s'y est attelé sans lyrisme, sans verser dans la repentance, sans présenter d'excuses, sans employer le mot "France", lui préférant le "je" : "La vérité, a déclaré François Hollande, je vais la dire ici, devant vous. Pendant cent trente-deux ans, l'Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal, ce système a un nom, c'est la colonisation, et je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien."

Le président français parle de "violence", d'"injustices", de "massacres" et de"torture". Il rend hommage à cette grande figure de la cause nationaliste que fut Messali Hadj (1898-1974), réussissant même à le faire applaudir par un parterre de parlementaires majoritairement membres du Front de libération nationale (FLN). Quand on se souvient de ce qu'a été la lutte fratricide entre "messalistes" et partisans du FLN pendant la guerre d'Algérie, une telle scène a évidemment une portée symbolique très forte.

 "INCH'ALLAH"

Sur le fond, François Hollande n'en a cependant pas dit beaucoup plus que ses prédécesseurs. La réaction de Saida Mekki, députée FLN de Relizane, résumait bien l'état d'esprit algérien : "J'attendrai, inch'Allah, pour que ça aille un peu plus loin. Mais nous devons commencer à travailler ensemble."

Après le discours, l'entourage du président essayait de convaincre les journalistes que le fait d'avoir rappelé que l'Algérie avait été asservie pendant cent trente-deux ans représentait une avancée majeure. C'est à la fois vrai et faux. L'expression"système profondément injuste" est exactement celle employée par Nicolas Sarkozy à Alger le 3 décembre 2007. Quant à la référence aux cent trente-deux années de colonisation, elle figurait déjà dans la bouche de Jacques Chirac : "Nos deux histoires ont été liées pendant cent trente-deux ans", avait déclaré l'ancien président dans ce même palais des Nations, le 3 mars 2003. La différence se situe à un autre niveau : alors que Jacques Chirac avait limité la reconnaissance des souffrances subies par le peuple algérien à la période de la guerre, François Hollande, lui, l'a étendue à toute l'époque coloniale.

 

François Hollande et Abdelaziz Bouteflika partagent des dattes et un verre de lait, à Zeralda, dans la résidence d'Etat du président algérien, le 19 décembre.

Autre passage mis en avant par l'entourage du président pour souligner la singularité de son discours : l'allusion à la sanglante répression qui a suivi l'insurrection de nationalistes algériens à Sétif, le 8 mai 1945. "A Sétif, (...) le jour même où le monde triomphait de la barbarie, la France manquait à ses valeurs universelles", a déclaré M. Hollande.

Aucun de ses deux prédécesseurs, lors de leurs visites d'Etat en Algérie, n'avait effectivement évoqué cette page sombre de l'histoire. Mais la porte avait été ouverte par deux ambassadeurs successifs en accord avec Paris. En 2005 à Sétif, Hubert Colin de La Verdière, avait dénoncé une "tragédie inexcusable" ; puis en avril 2008, sous Nicolas Sarkozy, Bernard Bajolet, à Guelma, autre ville frappée par la répression de 1945, avait parlé d'"insulte aux principes fondateurs de la République française" et de "tâche indélébile".

Si, pour l'essentiel, ces vérités douloureuses avaient été dites, le message de la France au cours des dernières années avait toutefois été singulièrement brouillé. Les mots forts de Jacques Chirac en 2003 n'avaient pas empêché la droite, deux ans plus tard, d'adopter un amendement reconnaissant le "rôle positif de la présence française outre-mer", mettant ainsi un point final au traité d'amitié que Jacques Chirac et Abdelaziz Bouteflika avaient concocté. Le retrait de l'amendement, à la demande de l'ancien président français, n'avait rien changé. Quant à Nicolas Sarkozy, il avait, sitôt rentré d'Algérie, reçu le soir même à l'Elysée les représentants des harkis, provoquant la colère d'Alger.

 

C'est à ce niveau-là que François Hollande veut faire la différence, en mettant en cohérence ses actes et ses paroles, là où ses prédécesseurs ont été accusés de pratiquer un double langage. "L'amitié, ça se démontre", a assuré le chef de l'Etat."Je veux être respectueux : ce n'est pas une visite qui fait une relation, c'est une méthode, une volonté", a-t-il ajouté, en précisant que son objectif visait le "long terme". C'est sur cette promesse que François Hollande a quitté l'Algérie.

Isabelle Mandraud et Thomas Wieder - Alger, Tlemcen Envoyés spéciaux

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