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samedi 9 février 2013

Banalisation du Front national : la France ne se droitise pas, elle se frontise

LE PLUS DU NOUVEL OBS


Modifié le 08-02-2013 à 19h02

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Par 
Politologue (Sciences Po)

LE PLUS. L'adhésion aux idées du Front national (FN) progresse. C'est ce qui ressort du baromètre annuel de TNS-Sofres, rendu public mercredi 6 février. Selon ce sondage, 32% de Français se disent "tout à fait" ou "assez" d'accord avec les idées du parti de Marine Le Pen. Décryptage de cette étude par Thomas Guénolé, politologue à Sciences-Po.

Édité par Sébastien Billard  Auteur parrainé par Mélissa Bounoua

Marine Le Pen entourée de journalistes à Paris, le 18 décembre 2012 (REVELLI-BEAUMONT/SIPA).

 Marine Le Pen entourée de journalistes à Paris, le 18 décembre 2012 (REVELLI-BEAUMONT/SIPA).

 

Le baromètre d'image 2013 du Front national réalisé par l'institut de sondages TNS-Sofres a été abondamment repris par les médias. Deux types de données ont été systématiquement mis en avant : d'une part les 51% de Français considérant que le FN est un parti comme les autres ; d'autre part le taux d'acceptation d'accords électoraux entre la droite et l'extrême droite.

 

Ce ne sont pourtant pas les informations les plus intéressantes de cette enquête.

 

Une adhésion croissante aux idées du FN sur l'immigration

 

En réalité, les résultats les plus spectaculaires concernent le taux d'adhésion aux thèses du FN en matière de rejet de l'immigration et, par amalgame, de l'islam.

 

- "On ne défend pas assez les valeurs traditionnelles en France" : 72% des Français, 59% des sympathisants de gauche et 86% des sympathisants de droite sont d'accord.

 

- "On accorde trop de droits à l'islam et aux musulmans en France" : 54% des Français, 37% des sympathisants de gauche et 77% des sympathisants de droite sont d'accord.

 

- "On ne se sent plus vraiment chez soi en France" : 54% des Français, 25% des sympathisants de gauche et 61% des sympathisants de droite sont d'accord.

 

De fait, un terme dans le débat public crée un immense malentendu : droitisation. Ce néologisme est apparu durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy pour faire référence, entre autres faits marquants, à la création du ministère de l'Immigration et de l'Identité nationaleau discours présidentiel de Grenoble faisant le lien entre immigration et criminalité, à la circulaire Guéant faisant le lien entre immigration et chômage, et à l'engagement de campagne électorale en 2012 de revenir sur la libre circulation aux frontières née des accords de Schengen.

 

Ce néologisme crée la confusion car il induit que plus vous vous rapprochez des thèses du FN, plus vous êtes de droite, la position la plus poussée vous conduisant ainsi à l'extrême droite. Or c'est objectivement faux.

 

La droitisation, un non-sens politique

 

La droite contemporaine repose sur six fondamentaux auxquels adhèrent ses électeurs : le rejet viscéral de la gauche, le mérite individuel contre l'assistanat, le secteur privé performant contre le secteur public inefficace, le souhait de baisser les impôts, un conservatisme moral, l'hostilité à l'immigration.

 

Sur cette base, quatre familles insistent chacune sur une partie de ces fondamentaux : la droite libérale, la droite néogaulliste, la droite morale et la droite sécuritaire. Logiquement, évoquer une droitisation est donc un non-sens, puisque immédiatement, on objectera qu'il faut préciser de quelle droite on parle.

 

En d'autres termes, droitisation est un néologisme aussi flou qu'inopérant. En réalité, qu'il s'agisse des chiffres précités de l'enquête de TNS-Sofres ou des positions précitées prises par la droite durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, ce que l'on observe ici, c'est l'incorporation totale ou partielle des diagnostics du FN, voire de ses préconisations, par l'électorat français et par les états-majors des partis de gouvernement, gauche et droite confondues. Il ne s'agit donc pas d'une droitisation mais bien d'une frontisation.

 

À la compétition électorale s'ajoute une bataille des idées qui surdétermine pour partie son issue. Cette frontisation est à cet égard, de la part de la droite comme de la gauche, une capitulation en rase campagne.

 

La défaite du rationalisme

 

À gauche, il y a eu notamment abandon de la grille de lecture sociale des questions d'immigration. Par exemple, plus aucun responsable socialiste, sous peine de se voir taxer d'angélisme, n'ose affirmer que la surproportion d'immigrés dans la délinquance et la criminalité est une conséquence logique de la surproportion d'immigrés touchés par la pauvreté et par le chômage.

 

À droite, il y a eu incorporation complète, non seulement des diagnostics, mais également des préconisations du FN sur les questions d'immigration. Qu'il s'agisse de l'amalgame entre immigration et criminalité, entre immigration et chômage, ou entre immigration et islam, il n'y a de fait plus de différences significatives aujourd'hui entre les discours publics de la droite et de l'extrême droite sur ces sujets.

 

Dans ce contexte, sans aucun parti de gouvernement pour lui porter la contradiction au cœur même de son argumentaire et de son référentiel idéologique, il est parfaitement logique qu'une proportion croissante de Français considère le FN comme un parti normal, voire adhère à ses thèses.

 

Or lorsque tel ou tel tribun raconte objectivement n'importe quoi, et que nul ne lui apporte la contradiction par une argumentation reposant sur les faits plutôt que sur une accumulation de préjugés, alors, il y a nouvelle défaite en rase campagne : celle du rationalisme.

 

Pour ne prendre qu'un exemple, selon le rapport universitaire Chojnicki pour le ministère des Affaires sociales, les immigrés reçoivent de l'État 48 milliards d'euros mais lui en reversent 60, soit un solde positif de 12 milliards d'euros. Il est donc factuellement faux – autrement dit faux – de dénoncer le coût de l'immigration pour notre pays.

 

L'immigré communautariste, un péril fantasmé

 

S'il faut prendre un autre exemple, selon l'Observatoire des inégalités, une personne de nationalité marocaine, dont le nom et le prénom sont à consonance marocaine, doit déposer en moyenne 277 CV avant d'obtenir une proposition d'entretien d'embauche pour un poste de comptable, tandis qu'une personne de nationalité française dont le nom et le prénom sont à consonance française doit en déposer en moyenne 19, soit 14 fois moins.

 

Il est donc factuellement faux – autrement dit, faux – de dénoncer une propension des immigrés à refuser de travailler et à être plus touchés par le chômage pour cette raison, alors que cette propension s'explique par la discrimination à l'embauche.

 

L'écrasante majorité des immigrés ne pose rigoureusement aucun problème d'insécurité, de délinquance ou de criminalité. L'écrasante majorité des immigrés ne coûte rien aux finances publiques et leur rapporte : elle exerce un emploi, paye ses impôts, paye ses cotisations. L'écrasante majorité des immigrés adhère aux valeurs républicaines et, sur la question régulièrement mise en avant de la laïcité, ne se définit elle-même pas par sa religion.

 

Ce sont là des vérités simples et très faciles à prouver, au contraire du péril fantasmé de l'immigré musulman communautariste, poseur de bombes et égorgeur de moutons qui, à en croire les termes du débat public sur l'immigration depuis plusieurs années, constituerait le profil type des gens que nous accueillons sur notre sol.

 

Question ouverte à la classe politique : puisque ce sont là des vérités simples et très faciles à prouver, pourquoi ne pas les dire ?

 

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