jeudi 7 août 2014

Sept idées reçues sur l'immigration et les immigrés



Le Monde.fr | 06.08.2014 à 18h33 • Mis à jour le 07.08.2014 à 09h34 |Par 


Des migrants sur le navire militaire italien "Chimera", dans le port de Pozzallo, en Sicile, le 30 juin. Des migrants sur le navire militaire italien "Chimera", dans le port de Pozzallo, en Sicile, le 30 juin. | AP/CARMELA IMBESI

L'été, période propice à relancer de vieux débats ? D'Eric Ciotti à Hervé Mariton en passant par Christian Estrosi, les ténors de la droite se bousculent sur les plateaux télévisés pour parler... d'immigration.

Aides sociales, afflux de migrants, « laxisme », tout est bon pour dénoncer une fois encore l'arrivée ou la présence d'immigrés sur le sol français. Cette thématique, souvent épidermique en France, où les enquêtes d'opinion montrent une montée du sentiment xénophobe, est riche en clichés. Des clichés qui sont le plus souvent relativisés, voire démentis par les faits.

 1. Non, il n'y a pas une « explosion » de l'immigration en France

Premier cliché démenti par les faits : la part des immigrés et des étrangers en France est... relativement stable depuis 30 ans.

En 1982, on comptait 4 millions d'immigrés (nés étrangers dans un pays étranger), et 3,5 millions d'étrangers (vivant en France sans avoir la nationalité française) pour 55 millions d'habitants. En 2011, on compte 5,4 millions d'immigrés et 3,7 millions d'étrangers pour 65 millions d'habitants.

Ramenée en pourcentage de la population, c'est donc, en trente ans, une hausse de 1,2 points de la part d'immigrés (de 7,2 % à 8,4 %) et une légère baisse de la part d'étrangers de (6,3 % à 5,8 %).

Un tiers des immigrés provenaient en 2008 de pays de l'UE, 38 % d'Europe. On compte ensuite 42,5 % d'immigrés originaires d'Afrique et du Maghreb, 14,2 % d'Asie, et 5,3 % d'Amérique ou d'Océanie, selon l'Insee.

Même si on regarde le très long terme, on ne peut pas observer de variation massive depuis les années 1920, comme on le voit ci-dessous.

Des migrants sur le navire militaire italien "Chimera", dans le port de Pozzallo, en Sicile, le 30 juin. Des migrants sur le navire militaire italien "Chimera", dans le port de Pozzallo, en Sicile, le 30 juin. | AP/CARMELA IMBESI

2. Non, il n'y a pas une hausse massive des arrivée de migrants en Europe

Second cliché : la vision de « hordes » de migrants qui se presseraient aux frontières de l'Europe. Là aussi, on est dans l'exagération.

Il est exact que certaines « routes » connaissent un afflux massif en 2013, notamment les migrants en provenance de l'Erythrée et de la Syrie, qui se pressent en Italie et à Malte. Mais d'autres, au contraire, voient le nombre d'arrivants diminuer.

En réalité, si on consulte les données globales de Frontex, l'agence européenne aux frontières, on constate une hausse pour 2013, mais qui fait suite à une baisse en 2012. Sur trois ans, la tendance est plutôt stable : 104 000 migrants illégaux recensés en 2010 et 2009, 107 000 en 2013.

Par ailleurs, le nombre d'étrangers en situation irrégulière est stable depuis trois ans lui aussi en Europe.

3. Non, la France n'accueille pas plus d'immigrés qu'ailleurs en UE

Troisième cliché : la France serait une terre d'accueil privilégiée des migrants. Là encore, c'est faux. On le voit sur ce premier graphique : d'autres pays de taille comparable, de l'Allemagne au Royaume-Uni en passant par l'Italie, connaissent plus d'immigration que la France.

De même, la France a moins d'étrangers sur son sol que la plupart de ses voisins européens. Et se situe, au niveau mondial, à la 80e position pour l'immigration, derrière les Etats-Unis ou de nombreux autres pays européens.

La France se distingue pour une chose : le poids relatif de ses enfants d'immigrés, qui sont donc français de naissance. Selon l'Insee, en 2008, les descendants directs d'un ou de deux immigrés, représentaient 6,5 millions de personnes, soit 11 % de la population. Trois millions d'entre eux avaient leurs deux parents immigrés. 

Enfin, si elles ont diminué, les reconduites à la frontière d'étrangers en situation irrégulière se poursuivent, et donnent lieu à une guerre de chiffres entre gauche et droite.

Manifestation de sans-papiers à Paris, le 5 octobre. Manifestation de sans-papiers à Paris, le 5 octobre. | FRED DUFOUR/AFP

4. Non, la citoyenneté française n'est pas « bradée »

Autre cliché : la citoyenneté française, qui serait accordée de plus en plus facilement à des étrangers. Là aussi, c'est tout simplement faux. Il suffit d'observer ce graphe pour le constater : on accorde aujourd'hui moins de fois la citoyenneté qu'en 2007.

Et là aussi, si on regarde la part des français par acquisition dans la population depuis 1960, on est bien loin de l'explosion (de 2,8 % en 1962 à 4,5 % en 2011).

5. Non, les immigrés ne viennent pas massivement « toucher des allocations »

Autre oubli fréquent dans les discours sur l'immigration : sa structure. On a tendance à oublier que dans les flux de titres de séjour délivrés, tous ne le sont pas pour le même motif. Les cas « humanitaires » sont très minoritaires face aux étudiants étrangers ou au regroupement familial.

Celui-ci, consacré comme un droit par le Conseil d'Etat en 1978, mais qui a connu depuis une série de restrictions, n'est autorisé qu'aux étrangers eux-même titulaires d'une carte de séjour ou de résident, qui doivent justifier de leurs ressources : au minimum 1 128 euros par mois sur la dernière année pour une famille de deux ou trois personnes. Qui ne peuvent pas provenir d'un minima social, mais doivent l'être d'une activité.

Il existe d'autres restrictions, notamment disposer d'un logement ou ne pas être polygame.

Lire aussi : les régularisations ont bondi de 50 % en 2013

6. Non, on n'accorde pas le RSA aux étrangers dès leur arrivée

Venons-en aux propositions formulées par l'UMP. Hervé Mariton, par exemple, propose « que tout nouvel entrant en France, qu'il soit en situation régulière ou irrégulière, n'ait pas accès aux aides sociales contributives avant un délai de plusieurs année ».

Or... c'est déjà le cas ! En réalité, il faut un statut d'immigrant régulier pour toucher des aides sociales. Et surtout, le RSA, par exemple, n'est accordé qu'au bout de cinq années de résidence en France, sauf quelques cas particuliers (réfugiés, apatrides, mère seule).

Lire aussi : Les intox d'Eric Ciotti sur l'immigration

13,2 %Comme le rappelait Libé Désintox en 2013, de 2004 à 2011, la part des étrangers non communautaires dans les bénéficiaires du RMI, puis du RSA n'a pas varié, passant de 13,3 % à 13,2 %.

Cette polémique est typique des discours autour de l'immigration. Autre exemple, celui des bénéficiaires du minimum vieillesse (Allocation de solidarité aux personnes âgées ou Aspa). Là aussi, le même Hervé Mariton avait dénoncé en 2013 - figure classique - la mainmise d'étrangers qui, n'ayant jamais cotisé en France, viendraient le toucher sur le territoire.

Il suffit de retrouver, sur le site de l'Assemblée, nationale, une question posée au gouvernement en 2011, pour constater que la polémique, ancienne, est en réalité très exagérée : on comptait, en 2012, 32 % d'étrangers parmi les bénéficiaires de l'Aspa, contre 30 % en 2005.

En 2011, donc, le gouvernement estimait à 2 000 le nombre de bénéficiaires étrangers de l'Aspa. Ils résidaient en France en moyenne depuis dix ans. Et seuls 439 étaient en France depuis moins de cinq ans.

7. Non, l'immigration ne coûte pas des dizaines de milliards

De manière plus générale, le discours autour de l'immigration et des immigrés à tendance à ne considérer que les coûts, sans jamais leur opposer les revenus générés par ceux-ci.

Il est extrêmement complexe de chiffrer le coût ou l'apport de l'immigrationpour les finances publiques.

En 2010, l'économiste Xavier Chojnicki avait été chargé par le gouvernement d'une étude sur le coût de l'immigration, qui fait désormais autorité. Si elle faisait le constat d'une « surreprésentation des populations immigrées parmi les bénéficiaires d'allocations familiales ou de logement », ainsi qu'aux « allocations chômage et au RMI », elle rappelait que la population immigrée cotisait également.

Or, concluait l'étude, du fait de la structure d'âge différente de la population immigrée, plus jeune, « la contribution nette globale de l'immigration au budget de l'Etat serait ainsi positive et de l'ordre de 12 milliards d'euros pour l'année 2005 ; un immigré aurait effectué en moyenne un paiement net de l'ordre de 2 250 € contre un peu plus de 1 500 € pour un autochtone ». 

+ 3,02 MDS ?L'étude estimait ainsi à 68,4 milliards d'euros les prestations versées aux immigrés et à 72,026 milliards leurs cotisations. 

D'autres études ne sont pas de cette avis. Ainsi, François Gemenne, autre chercheur, évoque un coût net de l'ordre de 5 à 10 milliards d'euros. Mais il explique également que ces coûts sont imputables en partie à la politique migratoire elle-même, notamment les reconduites à la frontière, qui représentent 400 millions d'euros par an. Et les travaux de divers chercheurs tendent à montrer que le problème de la France vient aussi du fait que les immigrés y ont un moindre accès aux emplois rémunérateurs.

- 0,3 POINTS DE PIB ?Une étude comparative de l'OCDEmontre que dans la plupart des pays, l'impact fiscal de l'immigration est nul ou positif. Pour la France, l'étude estime que l'impact fiscal est négatif de 0,3 point de PIB, soit moins qu'en Allemagne (1,13 point). En moyenne, il est positif de 0,3 points de PIB.

Lire : Coût de l'immigration, l'impossible chiffrage

La plupart des économistes s'accordent également pour estimer qu'avec le vieillissement de la population, le recours à l'immigration de travail deviendra de plus en plus nécessaire dans les pays d'Europe et d'Amérique du Nord.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire