Une triste réalité est venue se rappeler aux habitants de la ville quand Le Midi libre a annoncé, mardi 9 décembre au soir, la mort de Karim et Hamza, deux Lunellois partis faire le djihad en Syrie. Ces morts s'ajoutent à celles, survenues fin octobre, de trois djihadistes lunellois lors d'un bombardement de l'armée syrienne. Dans cette même ville, ils seraient au total une dizaine à être ainsi partis pour combattre en Syrie. Une enquête judiciaire est actuellement en cours. La police cherche à établir si ces départs sont liés à l'existence d'une filière djihadiste organisée entre Nîmes et Montpellier.

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Près du bar à chicha aujourd'hui fermé, des jeunes viennent s'installer aux snacks qui bordent la route départementale. Medine et Yacine viennent du quartier de l'Abrivado, dont au moins quatre djihadistes partis en Syrie étaient originaires. Un quartier du sud-ouest de la ville plutôt agréable, qui allie verdure et immeubles ne dépassant pas les cinq étages. Ils connaissaient Karim, avaient joué au foot ensemble, un« mec normal » qui « aimait voyager » et n'avait « jamais évoqué publiquement ses intentions », assurent-ils. Tous deux ont 20 ans, l'un est encore au lycée, l'autre est à la recherche d'un emploi, comme 20 % des moins de 25 ans à Lunel.

« Profond sentiment d'injustice »

Après l'annonce des trois morts fin octobre, les caméras de toutes les télévisions s'étaient braquées sur la ville de l'Hérault. Une histoire qui s'est répétée avec la mort de Karim et Hamza et qui pousse les habitants de Lunel et les institutions locales à se retrancher dans le silence.

La mairie s'est contentée de publier un communiqué mardi soir. « Les Lunellois vivent à juste titre comme un profond sentiment d'injustice le fait que leur ville soit ainsi stigmatisée », tente de justifier Claude Arnaud, maire (divers droite) de la ville depuis 2001.

Face à ces radicalisations, la mairie, la préfecture et la mosquée se renvoient la balle. M. Arnaud demande aux services de l'Etat « d'agir au mieux et au plus vite ». Du côté de la préfecture, on assure avoir mis en oeuvre plusieurs moyens, en plus du classement de la ville en zone de sécurité prioritaire (ZSP) pour répondre à une montée de la délinquance en 2011.

Silence de la mairie et des institutions religieuses

Fin octobre, l'équipe municipale et le directeur de cabinet du préfet, Frédéric Loiseau, se sont réunis pour évoquer le problème du djihad.« On a l'impression que le maire est dans l'attente d'une intervention de l'Etat alors que la solution à ces problèmes se trouvera dans la cogestion, explique-t-on à la préfecture.Une enquête judiciaire est en cours, mais la prévention, c'est à la mairie de la mettre en pratique. »

Dans les rues étroites autour de la place des Martyrs de la Résistance, des commerçants s'interrogent sur ce qui a conduit une dizaine de« gosses » à rejoindre un pays en guerre. Philippe Moissonnier, conseiller municipal socialiste, a connu deux des jeunes partis faire le djihad. Il déplore de ne pas avoir vu ce qui se passait plus tôt. Il est aussi l'un des rares élus à être sorti du mutisme dans lequel sont cloitrés les Lunellois, pensant que ce silence « ne ferait pas avancer la situation ».

« Quand on a appris les premières morts en octobre, il y a eu un silence de la part de la mairie et des institutions religieuses, parce que des deux côtés ils ont eu peur d'être stigmatisés. Peur que l'on pointe du doigt Lunel comme une ville de djihadistes et peur que l'on face l'amalgame avec la communauté musulmane ».

« Cas isolés »

Les représentants des musulmans, incarnés essentiellement par l'Union des musulmans de Lunel, l'association qui gère la mosquée inaugurée en 2010 dans une zone commerciale au nord-est de la ville, sont eux aussi longtemps restés muets face à la radicalisation de quelques-uns. Le maire, dans son communiqué, a souhaité qu'ils « s'expriment clairement pour condamner fermement ces départs », et évoqué une rencontre prochaine.

Cette condamnation, les responsables de la mosquée s'y refusent, considérant cette dizaine de djihadistes comme« des cas isolés »« Sur les 6 000 musulmans de Lunel, on nous parle d'une dizaine de départs, ça représente une infime minorité », s'indigne Lahoucine Goumri, président de l'association.

Pour lui, la mosquée n'est pas responsable de la radicalisation de ces jeunes. Il refuse également d'agir sur le terrain de la prévention, et semble étonné de la demande de la mairie. « Qui réclamerait à une synagogue de rendre des comptes sur des franco-israéliens partis servir dans l'armée israélienne lors de la dernière guerre à Gaza ? Et il faudrait que nous nous excusions ? », explique-t-il.

Dans une ville où vit une importante population d'origine maghrébine, mais qui a aussi vu le Front national arriver deuxième aux dernières élections municipales, tous se regardent en chiens de faïence, rejetant sur l'autre la responsabilité d'une dérive que personne n'a su pressentir. Les Lunellois craignent surtout l'annonce de nouvelles morts, qui relancerait les débats et les interrogations. Et ternirait un peu plus l'image de la ville.