Le  débat sur la laïcité et le « vivre ensemble » a donc fait irruption  dans nos assiettes. A en croire certains, il y aurait une façon  « française et républicaine » de manger. Au nom de cette laïcité  culinaire, Gilles Platret, le maire UMP de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), a  annoncé, le 16 mars, qu'il mettra fin au menu de substitution dans les  cantines scolaires de sa ville dès la prochaine rentrée.
    Depuis  plus de trente ans pourtant, dans cette ville comme dans d'autres, des menus  alternatifs étaient proposés aux plats contenant du porc. Sans poser de  problème. Mais, à Chalon-sur-Saône, les enfants seront priés de manger  « comme tout le monde » ou d'aller manger ailleurs. « Si  vous voulez que vos enfants aient des habitudes alimentaires confessionnelles,  vous allez dans l'enseignement privé confessionnel », a aussitôt  soutenu Nicolas Sarkozy.
    Cette  prise de position du président de l'UMP a étonné et choqué jusque parmi ses  proches. Comment dénoncer la communautarisation de certains Français musulmans,  et inviter ces mêmes musulmans à quitter les écoles publiques pour des  établissements confessionnels ? L'instrumentalisation du dossier des  cantines en vue de séduire les électeurs du Front national est trop grossière pour  être convaincante.
    Le  principe laïc n'implique nullement d'imposer un menu unique aux enfants, au  mépris des différences et des préférences individuelles. Il faut dépasser ce  faux débat : plutôt que d'utiliser le porc ou la laïcité pour attiser la  haine confessionnelle et diviser les Français, nous proposons l'instauration  dans les cantines scolaires d'une alternative végétarienne à tous les repas.
     
    Satisfaire les végétaliens
    Loin  d'être dogmatique, notre proposition est avant tout pragmatique : le repas  végétarien convient au plus grand nombre – musulmans, juifs, chrétiens, athées  ou autres. Pour être juste, il conviendrait que cette alternative sans viande  et sans poisson exclut le lait et les œufs, afin de satisfaire les végétaliens.
    Le  plat végétarien, et à plus forte raison végétalien, est une solution laïque et  œcuménique aux préférences alimentaires de chacun, qui a le mérite de  représenter l'alternative la plus simple pour les collectivités locales qui ne  peuvent satisfaire des contraintes et des préférences alimentaires multiples.  Le repas végétarien réunit tout le monde.
    Loin  des considérations religieuses, il répond aux convictions de tous ceux qui  refusent de manger des animaux pour des raisons éthiques, par souci du  bien-être animal et respect de la vie sensible. Pourquoi forcer leurs enfants à  manger de la viande ou du poisson à l'école ?
    Laisser  le choix aux enfants est tout ce que nous demandons : ne pas les empêcher  de manger de la viande s'ils le souhaitent, mais leur permettre de ne pas le  faire. L'alternative n'enlève rien aux non-végétariens, tandis que le menu  unique ôte à ceux qui ne mangent pas de viande, ou qui refusent le porc, le  droit d'avoir un repas équilibré, qu'ils ont payé comme les autres. C'est  discriminatoire et injuste.
    En  France, ni la loi du 27 juillet 2010 dite loi de modernisation de  l'agriculture et de la pêche, ni le décret ou l'arrêté du 30 septembre  2011 dits relatifs à la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre  de la restauration scolaire ne mentionnent l'alternative végétarienne. Pis,  l'Etat entend faire croire que toutes les sources de protéines ne seraient  qu'animales. Or la France semble la seule en Europe. Dans aucun autre Etat  membre il n'y a de loi ou de décret ayant une portée contraignante où le régime  carné est tant sacralisé.
     
    Multiples bienfaits
    L'alternative  végétarienne a de multiples bienfaits. Premièrement, elle est un facteur de  cohésion sociale, réunissant autour de la même table tous les enfants, qui ne  sont plus stigmatisés. Indifférenciés, on ne distingue plus le musulman ou le  juif qui évite le porc du végétarien qui évite la viande.
    Deuxièmement,  elle est bonne pour la santé. Contrairement aux préjugés encore en cours, un  régime végétarien ou même végétalien n'entraîne aucune carence, à partir du  moment où il est équilibré. Les protéines sont bien présentes dans les  végétaux, comme le montre l'exemple du soja. Des préparations comme le tofu, le  tempeh ou le seitan sont des alternatives aux produits carnés. Ils sont aussi  un plaisir pour le palais ! C'est la consommation excessive de viande qui  est source de maladies, notamment sur le plan cardio-vasculaire, surtout quand  elle est issue de l'industrie.
    Troisièmement,  l'alternative végétarienne est écologique. Alors que la France accueille du  30 novembre au 11 décembre la Conférence internationale sur le climat  (COP21), et que convaincre les Etats de réduire leurs émissions de gaz à effet  de serre est l'une des priorités de sa politique étrangère, il est impératif de  commencer à agir sur l'une des causes majeures du changement climatique :  la consommation de viande.
    Selon  le dernier rapport de l'Organisation des nations unies pour l'alimentation et  l'agriculture, l'élevage, responsable de 60 % des émissions de méthane –  un gaz qui réchauffe vingt-cinq fois plus que le CO2 –, totalise  14,5 % de la production de gaz à effet de serre. Greenpeace ajoute que  80 % des déforestations en Amazonie sont causées par l'élevage de bétail.  Les élevages sont à l'origine d'une part importante de la pollution des sols et  des rivières.
    C'est  pourquoi nous appelons à ce que la loi française impose dans chaque cantine  scolaire, mais aussi dans les restaurants universitaires et les  administrations, une alternative végétarienne, voire végétalienne. Il s'agirait  d'une avancée citoyenne majeure et d'un geste fort en faveur de l'environnement  et de ce « vivre ensemble » que tant invoquent sans rien faire pour  le promouvoir.
     
    Sandrine  Bélier (ancienne députée européenne EELV), Allain Bougrain-Dubourg (journaliste  et réalisateur), Florence Burgat (philosophe), Aymeric Caron (journaliste et  écrivain), Franz-Olivier Giesbert (journaliste et écrivain), Jean-Baptiste  Jeangène Vilmer (philosophe) et Matthieu Ricard (fondateur de l'organisation  humanitaire Karuna-Shechen).
    
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