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jeudi 29 décembre 2011

La zone franche, " ballon d'oxygène " pour les cités



REPORTAGE

La zone franche, " ballon d'oxygène " pour les cités

La pharmacie de Laurent Taleux, dans le quartier de l'Alma, à Roubaix, bénéficie du dispositif ZFU depuis 1997.

ERIC FLOGNY, ALEPH POUR " LE MONDE "

Roubaix (Nord) Envoyé spécial
A Roubaix, le dispositif a favorisé l'installation d'entreprises attirées par les exonérations de charges et d'impôts





UN DISPOSITIF CRÉÉ ET ÉTENDU PAR LA DROITE

Exonérations Les zones franches urbaines (ZFU) ont été créées en 1996 par le gouvernement d'Alain Juppé. Elles ont été prorogées par la droite, en 2004 et 2006, puis cette année, jusqu'en 2014.Les entreprises installées ou s'établissant en ZFU bénéficient d'exonérations fiscales et sociales.

Salariés locaux En échange, les entreprises doivent embaucher au moins un salarié sur trois issu du quartier ou d'une zone urbaine sensible (ZUS) de l'agglomération. Il existe aujourd'hui 100 ZFU pour 751 ZUS en France. Seuls les quartiers de plus de 10 000 habitants pouvaient bénéficier du dispositif en 1996 et 2004. Le seuil a été abaissé à 8 500 habitants pour les ZFU créées en 2006.

Impossible de rater la grande façade vitrée de la pharmacie de Laurent Taleux, en plein coeur du quartier de l'Alma, à Roubaix (Nord). Au milieu des maisons aux fenêtres condamnées et des commerces orientaux, le magasin dénote. Avec plus de 40 % de chômage et une importante concentration d'habitants d'origine immigrée aux revenus modestes, le quartier est l'un des plus pauvres de la ville.

Laurent Taleux a été l'un des premiers commerçants, en 1997, à bénéficier de la zone franche urbaine (ZFU), un dispositif prévoyant des exonérations de charges et d'impôts pendant cinq ans pour les entreprises installées ou s'installant dans les quartiers difficiles. En échange, celles-ci s'engageaient, en cas d'embauche, à recruter au moins un salarié sur trois dans les zones urbaines sensibles (ZUS). Deux autres générations de zones franches ont suivi, dont la dernière prend fin le 31 décembre 2011. Maurice Leroy, le ministre de la ville, a annoncé, le 4 octobre, la prorogation du dispositif jusqu'en 2014, avec l'obligation renforcée d'embaucher un salarié sur deux dans les quartiers.

Laurent Taleux plie son double-mètre derrière son minuscule bureau, encombré de boîtes de médicaments. " J'ai vécu la création de la ZFU, en 1997, comme une récompense, se souvient-il. Ça faisait dix ans que j'étais dans ce quartier populaire alors que les autres commerçants hésitaient à s'y installer. " La zone défiscalisée lui a permis d'embaucher une jeune fille du quartier à un poste de secrétaire. Il a aussi augmenté les salaires de ses employés. " Je les paye 30 % de plus que les autres pharmacies de la ville. C'est la contrepartie indispensable dans un quartier comme l'Alma pour garder son personnel ", explique-t-il.

A ses yeux, l'obligation d'embaucher les personnes du quartier reste, cependant, très théorique : " En pharmacie, il faut des gens qui soient qualifiés et qui aient fait des études supérieures. On trouve rarement ce type de profil dans les quartiers difficiles. Et les personnes qui ont les diplômes cherchent surtout à quitter l'endroit. "

S'il salue les ZFU, il considère cependant qu'en vingt-trois années à l'Alma, son quotidien de pharmacien de quartier pauvre a surtout été bouleversé par deux mesures fort éloignées des multiples dispositifs de la politique de la ville. La première a été la création des traitements de substitution pour les héroïnomanes à la fin des années 1990. " Ils ont arrêté de venir avec des ordonnances bidouillées pour obtenir du Néocodion, un médicament pour la toux, qui contient de la codéine, et on a commencé à les considérer comme des malades et plus comme des toxicomanes. " La création de la CMU a, elle, mis fin à la stigmatisation des patients pauvres qui se présentaient jusque-là avec de grandes ordonnances jaunes bien identifiables. " On les stigmatisait forcément ", juge le pharmacien.

Le quartier de l'Epeule, à quinze minutes à pied de celui de l'Alma, traîne lui aussi sa mauvaise réputation comme un boulet. Là aussi, le chômage avoisine les 40 %. Là s'entassent les populations d'origine immigrée.

La boucherie Kamel fait partie de la dernière génération de ZFU créées en 2006. Pour Boubaker Meouak, le comptable de la société, la zone franche a été " un ballon d'oxygène qui a permis de moderniser le magasin ". La façade a été refaite et de nouveaux frigos ont été achetés. En revanche, aucune embauche n'a été faite.

Le magasin de Laurence Bellaiz, un peu plus loin, propose des tenues de cuistot, des casques de chantier et des chaussures de sécurité. Le père de l'actuelle gérante avait ouvert la boutique en 1973, à une époque dorée où la rue comptait encore une crémerie et une poissonnerie. Aujourd'hui, les clients sont pour l'essentiel des entreprises et des collectivités. Rarement des gens du quartier.

Laurence Bellaiz a bénéficié de la zone franche de 1997. " Ça nous a permis de respirer un peu, raconte-t-elle. Sans ça, peut-être qu'on aurait dû déposer le bilan ou licencier. " La ZFU lui a permis d'embaucher une personne supplémentaire... mais de Wattrelos, une commune limitrophe de Roubaix. Pour elle, pas question d'engager quelqu'un du quartier. " Il faut des gens qui sachent un minimum recevoir les clients, qui soient polis, qui parlent correctement... Ce n'est pas vraiment le cas dans le coin. Les gens n'ont pas les codes. " Pour illustrer son propos, elle rapporte sa conversation avec un jeune homme venu chercher un stage :

" Et madame, t'as pas un stage ?

- Pardon ?

- T'as pas un stage, s'il te plaît ?

- D'abord, il faut commencer par se présenter et dire "Bonjour Madame, excusez-moi, je cherche un stage". Et puis, il ne faut pas se présenter en pantalon de survêtement, ça ne fait pas professionnel.

- Faut mettre un costume alors ?

- Pas forcément, mais au moins un jean.

- Et mes baskets ?

- Ça peut passer à la limite. "

A la mairie, on estime que les deux zones franches de la ville ont aussi favorisé la venue de PME liées aux nouvelles technologies et l'installation d'avocats, d'architectes et de médecins qui font vivre les restaurants à l'heure du déjeuner.

Mais certains ne jouent pas toujours le jeu. Selon Laurence Bellaiz, une entreprise de services de Lille a ouvert un bureau de trois personnes, uniquement pour profiter des ristournes fiscales alors que la vingtaine de salariés est restée dans les anciens locaux. Laurent Taleux, le pharmacien, évoque des médecins venus s'installer et repartis cinq ans plus tard quand le dispositif a pris fin. " Ils avaient gardé leurs anciens cabinets et y sont retournés. " Lui restera dans son quartier de l'Alma mais ne désespère pas d'avoir un nouveau classement ZFU. " Ce serait une belle surprise. "

Arthur Frayer

© Le Monde

Des résultats décevants en matière d'emploi

QUINZE ANS après leur création, le bilan des zones franches urbaines (ZFU) est mitigé." Le bilan est globalement positif. Nous sommes parvenus à réactiver le tissu économique des quartiers difficiles avec la création de petites entreprises, estime Claude Dilain, sénateur PS et ancien maire de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Sur le plan de l'emploi, en revanche, nous n'avons pas obtenu les résultats escomptés. Peut-être que ce n'était pas une bonne idée d'employer des gens des quartiers dans les quartiers. Nous avons voulu régler le problème de l'emploi avec un seul dispositif. Ce n'était probablement pas suffisant. "

Créées en 1997 pour une durée initiale de cinq ans, les ZFU avaient pour but d'attirer les entreprises et de créer des emplois dans les quartiers les plus pauvres et les plus isolés. En échange d'exonérations sociales et fiscales, les sociétés s'engageaient à embaucher au moins un salarié sur trois en zone urbaine sensible (ZUS). Le dispositif a été reconduit à deux reprises, en 2004 et 2006, et se termine à la fin de cette année. Il vient d'être reconduit jusqu'en 2014 avec l'obligation d'engager désormais une personne sur deux dans les ZUS.

Changements de trottoir

Un groupe de travail, présidé par le député Eric Raoult (UMP), a rendu cet été un rapport sur le bilan des ZFU. Les rédacteurs du texte estiment que le dispositif a produit un " réel dynamisme économique ". " Entre 1997 et 2001, le taux d'implantation d'établissements a augmenté trois fois plus que dans le reste des agglomérations de référence. " Ils nuancent toutefois : " Dans la réalité, le tissu économique des ZFU reste encore moins développé comparé à celui des unités urbaines de référence. "

Le rapport constate que le nombre d'entreprises créées est important mais que les fermetures le sont tout autant dans les années qui suivent. Beaucoup de créations ne sont en fait que de simples " transferts " de sociétés installées en périphérie de la zone défiscalisée et qui changent de trottoir pour bénéficier des exonérations. C'est notamment le cas de certains cabinets médicaux.

Les entreprises créées sont le plus souvent issues du secteur du BTP, de la santé et du commerce. Les épiceries et les magasins hard discount sont très largement représentés. Beaucoup d'entreprises sont de petite taille et ne comptent aucun salarié. Certaines ZFU, victimes de leur succès, ont vu le prix des loyers des espaces commerciaux s'envoler en raison de l'offre trop faible de locaux disponibles. A Mantes-la-Jolie (Yvelines) et Montfermeil (Seine-Saint-Denis), les loyers ont été majorés de " 30 % à 50 % par rapport au prix moyen constaté dans les quartiers du centre-ville ", note le rapport.

Le nombre d'embauches annuelles a été en constante augmentation jusqu'en 2007 mais marque le pas depuis la crise économique de 2008. Cette année-là, 16 593 postes ont été créés, mais seulement 11 133 en 2009. Les personnes embauchées sont le plus souvent jeunes, peu qualifiées et occupent des postes d'ouvriers et d'employés.

Malgré ces créations de postes, le rapport conclut que les ZFU n'ont pas permis de " compenser l'ampleur des écarts avec les autres territoires ".

Ar. Fr.

© Le Monde

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