dimanche 20 avril 2014

Les musulmans toujours vigilants sur la « théorie du genre » 21.04.2014 à 00:59 Le Monde.fr

C'est une rumeur qui a laissé des traces. La « théorie du genre » enseignée à l'école ? Lancée en début d'année, elle suscite toujours l''inquiétude et la vigilance des musulmans pratiquants, même si leurs représentants jouent aujourd'hui la carte de l'apaisement. La question est inévitablement au programme de la 31e rencontre annuelle de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), du samedi 19 au lundi 21 avril au parc des expositions du Bourget (Seine-Saint-Denis), dont le thème est « l''homme, la famille, le vivre-ensemble ». 

Le matin où le collectif « Journée du retrait de l''école » (JRE) a appelé les familles du quartier à garder les enfants à la maison, la fille de Khoumissa était à l''hôpital. « La question ne s''est pas posée pour moi,raconte cette mère de famille vivant à Clamart (Hauts-de-Seine), mais sur le principe, c''est sûr, je suis contre la théorie du genre. » Couverte d''un foulard blanc et vêtue d''une longue robe verte, elle redoute que l''on fasse croire aux enfants qu''ils pourront « choisir d''être une fille ou un garçon ». « Franchement, l''école n'a pas des choses plus importantes à leur apprendre ? »

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Hassan, père de six enfants, dont trois en primaire, estime aussi que ce n''est pas le rôle de l''école d''aborder « les questions sexuelles » avec ses élèves. Comme beaucoup d''autres parents de Villepinte (Seine-Saint-Denis), « et pas seulement les musulmans », il a retiré ses enfants de l''école quand le collectif a organisé ces journées –– trois depuis le début de l'année. « J'ai voté Hollande en 2012, mais je suis complètement écœœuré par la gauche sur les questions de la famille, explique-t-il avec agitation. On est désemparé face à toutes ces choses qu'on nous impose sans nous consulter ! »

INQUIETS ET VIGILANTS

De leur côté, les institutions ont choisi de croire l''ancien ministre de l''éducation nationale, Vincent Peillon, qui a assuré fin janvier qu''il ne s'agissait que de rumeurs.« Même si c''était une rumeur, mais il n''y a pas de fumée sans feu, se méfie le président de l''UOIF, Amar Lasfar. J''ai cru le ministre Peillon, mais je reste vigilant. » Il ajoute, le ton grave : « Aujourd'hui, nous sommes inquiets, ce sujet de la famille nous a secoués. Cette théorie du genre, même si je ne la vois pas encore, je ne lui souhaite pas la bienvenue. »

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Pour autant, pour Amar Lasfar, pas question de demander aux enfants de quitter l''école, « ne serait-ce qu''une heure ». L''UOIF condamne fermement les méthodes prônées par les « Journées de retrait de l''école ». Farida Belghoul, qui les a lancées, n''a d''ailleurs pas été invitée à la rencontre annuelle du Bourget. « Ce que nous voulons, explique Amar Lasfar, c''est que les enfants aiment l''école, pas qu''ils la boycottent ! »

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En choisissant le thème de la famille pour la rencontre de cette année, l''UOIF espère apaiser les tensions et susciter« un vrai débat » dans la communauté musulmane. Les conférences et tables rondes ont porté sur la famille musulmane, les défis du couple ou encore l''égalité homme-femme. Au cœœur du salon, un vaste « espace famille » proposait des consultations gratuites avec des avocats ou des psychologues sur toutes ces questions.

« INSTRUMENTALISÉS »

Parmi les centaines d''associations présentes, la Ligue française des femmes musulmanes. Sa présidente, Hela Khomsi, tient à être claire : « A la tête d''une association qui défend les intérêts de la femme, je suis pour l''égalité homme-femme ! Ce qui m''a inquiété, avec les ABCD de l''égalité, c''est que l''on mêle les enfants à tout ça. Ce n''est pas leur combat. » Les musulmans qui ont retiré leurs enfants de l''école ont, selon elle, été instrumentalisés :« Certains musulmans ont peur pour leurs enfants, c''est ce qu''ils ont de plus cher. Il y a des gens qui ont voulu jouer sur cette peur. »

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Mais Hela Khomsi refuse de« crier au loup ». Pour elle, de toute façon, il se joue dans les écoles des choses plus importantes que la théorie du genre. « Ce qu''on enseigne à nos enfants aujourd''hui, c''est l''athéisme, le darwinisme. »

Certaines mères de famille n''ont pas pris peur avec les JRE. Parmi elles, il y a Aïcha, convaincue que si l''un de ses quatre enfants entend quelque chose qui l''interpelle, il viendra lui en parler. « Il faut habituer les enfants à entendre des discours différents. Cette société est une richesse pour nous, on ne veut pas vivre en retrait ! »

Même discours chez Nadia, qui tient par la main son fils de huit ans, Amine. « Quand ma voisine m''a appelée pour que je retire mon fils de l''école, je lui ai dit : "Redescends sur terre, la sexualité il va l''apprendre, de toute façon ! Si ce n''est pas à l''école, ce sera par la télé ou Internet". »

ECOLES PRIVÉES

Au Bourget, ce week-end, plusieurs stands étaient consacrés aux écoles privées musulmanes. Encore peu nombreuses sur le territoire français, elles assurent offrir aux parents « un meilleur encadrement » que dans le public. C''est ce qu''estime Souad, qui enseigne la langue arabe à l''école Education et savoir de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). « Mon fils de 12 ans est scolarisé dans un collège public. La dernière fois, pour lutter contre l''exclusion, on leur a passé un film sur l''homosexualité. Pourquoi cette bousculade ? Laissons-leur le temps de découvrir ces choses-là ! »

Maria, une jeune fille voilée de 16 ans, garde un œœil sur son petit frère qui joue auprès d''elle. Au lycée, elle « entend parler des homosexuels toute la journée ». Sa petite sœœur aussi, dans son école primaire. Leur mère a décidé que la fillette de 10 ans suivrait désormais des cours par correspondance.

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Mélinée Le Priol

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