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vendredi 6 janvier 2012

Après le PSG, le Qatar au chevet des banlieues françaises

LEMONDE | 05.01.12 | 12h40   •  Mis à jour le 05.01.12 | 15h53



Abderrezak Khachane, président de l'association "Mieux vivre au Valibout", a écrit à l'ambassade du Qatar pour obtenir des fonds pour la rénovation du quartier.

Abderrezak Khachane, président de l'association "Mieux vivre au Valibout", a écrit à l'ambassade du Qatar pour obtenir des fonds pour la rénovation du quartier.Jean-Gabriel Bontinck/PHOTOPQR/LE PARISIEN

Jusqu'où ira le Qatar? Le pays est grand comme la Corse mais possède une impressionnante force de frappe financière. Après le PSG et les droits télé de la Ligue des champions, c'est dans les banlieues françaises que le petit émirat a décidé d'investir. Il a annoncé, le 9 décembre 2011, la création d'un fonds d'investissement de 50 millions d'euros destiné aux quartiers français en difficulté, pour 2012. La somme est d'importance. C'est près de 10 % des 548 millions d'euros du budget du ministère de la ville de cette année.

L'enveloppe doit servir à financer les projets des jeunes entrepreneurs des cités en mal de reconnaissance et de subsides pour créer leurs entreprises. L'initiative a faitgrincer des dents certains. Elle a été saluée par d'autres. Pour une écrasante majorité, elle souligne surtout un peu plus l'abandon des banlieues par l'Etat français.

L'idée d'un rapprochement entre les banlieues et le Qatar n'est pas venue de la pétromonarchie mais de l'Association nationale des élus locaux de la diversité (Aneld). Un collectif d'élus de droite et de gauche ayant en commun d'être fils ou petit-fils d'immigrés et qui constate l'impasse dans laquelle se trouvent les banlieues françaises depuis plusieurs années. "On y est allés au culot", explique Haouaria Hadj-Chikh, élue du Front de gauche à Marseille et membre de l'association.

Cet automne, les élus écrivent à l'ambassadeur du Qatar en France, qui accepte de les recevoir. Peu de temps après, ce dernier organise un voyage d'une semaine à Doha, la capitale de l'émirat. Dix élus s'y rendent. Là-bas, la délégation déjeune avec l'émir cheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani, rencontre plusieurs responsables et distribue plusieurs dizaines de CV français. "Pour une fois, notre identité était valorisée et n'était plus un handicap", explique Kamel Hamza, président de l'Aneld et conseiller municipal UMP à La Courneuve. "L'aide du Qatar n'est que le résultat de difficultés exacerbées", plaide Haouaria Hadj-Chikh.

De retour dans l'Hexagone, l'ambassadeur du Qatar en France annonce la création du fonds d'investissement de 50 millions d'euros. "Avec la crise économique, il est de plus en plus difficile de trouver des fonds, explique Kamel Hamza. Mais ce n'est ni de la philanthropie, ni du mécénat. C'est un investissement gagnant-gagnant, et il va falloir présenter des projets sérieux."

La mesure a été très diversement appréciée. "Que le Qatar investisse dans les quartiers ne me gêne pas. D'autres pays, comme les Etats-Unis, essaient déjà de nous prendre nos talents, juge Renaud Gauquelin, nouveau président de l'association Ville et banlieue et maire PS de Rillieux-la-Pape (Rhône). Mais si l'Etat traitait mieux les banlieues, nous n'en serions pas là!" Claude Dilain, sénateur PS et ancien maire de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), y voit lui aussi "le signe de la coupure entre la société française et les banlieues". Il est, en revanche, profondément hostile à l'idée d'une intervention du Qatar. "Peut-on imaginer un instant un autre secteur d'activité où on tolérerait cela? Est-ce qu'on peut imaginerles Etats-Unis investissant 10millions d'euros dans l'éducation nationale?"

Le gouvernement, pour sa part, assume pleinement le recours aux deniers qataris. Maurice Leroy, le ministre de la ville (et ancien président du groupe d'amitié France-Qatar à l'Assemblée nationale), salue, lui, l'initiative: "Ce fonds d'investissement est un signe positif de reconnaissance des talents et capacités de création d'entreprises dans les quartiers populaires en France." Mais refuse cependant d'yvoir l'effacement de la puissance publique dans les quartiers.

Sitôt l'annonce du fonds rendue publique, les propositions ont commencé à affluersur les bureaux des élus de l'Aneld. Kamel Hamza estime avoir reçu déjà 80 CV et près de 150 dossiers de création d'entreprise. "Des demandes pour des sociétés d'informatique, des commerces, des salles de sport, de la maintenance d'ascenseurs…" Et la liste continue de s'allonger.

ARRIÈRES-PENSÉES POLITIQUES

"Arrivés à 28-30 ans, beaucoup de jeunes qui ont fait des études se rendent compte qu'il y a maldonne et que le contrat social n'a pas été respecté, analyse Mohamed Ali Adraoui, politologue et chercheur à Sciences Po. Malgré leurs diplômes, ils ne trouvent pas de travail. La France est perçue comme un pays hypocrite, alors que le Qatar les juge sur leurs seules compétences." Pas étonnant, selon lui, que l'opération soit un succès.

Rue de Tilsitt, dans le 8e arrondissement de Paris, siège de l'ambassade qatarie, quatre experts ont été désignés pour se pencher sur la pertinence des projets et des CV. Des demandes, parfois éloignées du cahier des charges initial, leur sont adressées. Abderrezak Khachane, président de l'association Mieux vivre au Valibout, un quartier de Plaisir (Yvelines) a écrit à l'ambassade pour la rénovation de son quartier. "Les ascenseurs sont en panne, les parkings sont sales et il y a des rats. Est-ce que les politiques ont fait quelque chose pour nous en trente ans? Alors, je me suis dit: "le Qatar, pourquoi pas?" Avec 50 000 euros, on pourrait avoircinq ascenseurs." L'initiative qatarie n'est cependant pas dénuée d'arrière-pensées politiques. "L'investissement dans les banlieues participe d'une stratégie globale", explique Nabil Ennasri, doctorant à l'université de Strasbourg et auteur d'un mémoire de DEA sur le Qatar. "En 2008, les élites qataries ont élaboré le 'Qatar national vision 2030' pour imaginer ce que sera la place du pays dans le monde d'ici vingt ans. Si le Qatar cible les banlieues et la communauté arabo-musulmane, c'est pour qu'elles soient, à terme, un relais de ses idées en France."

Mohamed Ali Adraoui confirme: "Le pays cherche surtout des relais d'influence dans la société française." Si le petit émirat s'appuie sur les élites françaises originaires du Maghreb, il veut cependant éviter toute lecture communautariste de son action. Arabes, Noirs ou Blancs pourront, de la même façon, soumettre des projets, soutient l'Aneld. "Tous ceux qui habitent en banlieue peuvent en bénéficier,précise Kamel Hamza. Mais il faut que la France arrête d'avoir peur de son ombre!" "Les investisseurs qataris sont intelligents et savent qu'ils sont attendus au tournant sur cette question, prévient Mohamed Ali Adraoui. Ils sont très au fait des débats français sur l'intégration."

Arthur Frayer

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