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jeudi 19 décembre 2013

Le dossier de l'intégration ravive les fractures de la gauche - Le Monde 20 décembre 2013

Le Parti socialiste, divisé entre " républicains " et " multiculturalistes ", échoue à défendre une vision commune sur les questions de diversité





Tout un symbole ! Le premier ministre Jean-Marc Ayrault a finalement décidé, mercredi 18 décembre, de reporter sine die la réunion sur l'intégration prévue le 9 janvier 2014. La polémique déclenchée, le 13 décembre, par certaines propositions des cinq rapports d'étape sur le sujet, remis à Matignon mi-novembre, a eu raison de cette rencontre. Officiellement, cette décision est liée au " travail ministériel - qui - n'est pas achevé ". Dans les faits, la controverse a ravivé les tensions sur ce sujet complexe : moins entre majorité et opposition qu'au sein même de la gauche et du Parti socialiste.

Un camp divisé en " deux nuages de points ", comme le résume Laurent Bouvet, professeur de sciences politiques et l'un des penseurs du PS : " Le premier, qualifié de "républicain", est sensible aux thèses sociales-libérales mais très accroché aux valeurs de laïcité et se retrouve autour de Manuel Valls. Le second est plus étatiste sur l'économie, mais à l'inverse libéral sur les questions de mœurs, très ouvert au multiculturalisme et se rassemble autour de Martine Aubry. "

" La difficulté est de faire tenir les deux sans tomber dans une synthèse molle ", estime Jean Glavany, député socialiste, spécialiste de la laïcité au PS. " Or, Hollande a peur de ces questions, nul ne sait s'il a des idées sur le fond ", tance sous couvert d'anonymat un ponte du sujet.

" Cela fait très longtemps que le PS n'a pas travaillé collectivement ces questions ",reconnaît Gilles Finchelstein, à la tête de la Fondation Jean-Jaurès, un des principaux think tank socialiste. Connaissant les clivages, lui-même a davantage travaillé sur un diagnostic que sur des propositions. " Il existe bien à gauche des convergences sur la lutte contre les discriminations ou sur le fait que l'islam est maltraité, notamment en termes de lieux de culte, mais, au-delà, on a l'impression que la gauche a eu peur de prendre le risque du débat et a choisi de ne pas clarifier ses positions ", pointe-t-il. Un " impensé ", un " tabou " pour certains, qui expliquent en partie la navigation à vue actuelle.

Sur la forme, beaucoup à gauche, blâment aussi l'amateurisme du gouvernement qui, sur des questions aussi sensibles, a confié sa réflexion à des acteurs de terrain et des chercheurs peu connus sans cadrer davantage la formulation des rapports. " C'est délicat le débat public !, c'est fou que l'on n'ait pas associé d'élus à ce travail ",s'emporte Sandrine Mazetier, chargée des questions d'immigration au PS.

Ces tensions révèlent en creux les divergences d'analyse croissantes sur les discriminations entre élus de gauche, acteurs de terrain et milieu universitaire. " De plus en plus de jeunes chercheurs sont eux-mêmes issus de l'immigration ", relève François Héran, ancien directeur de l'Institut national d'études démographiques (INED), pour qui " la gauche reste en grande partie ancrée dans le républicanisme, tendance assimiliationniste ".

Ces clivages entre " républicains " et " multiculturalistes " sont anciens : ils recoupent ceux qui séparaient dans les années 1980, à l'époque de la Marche des beurs, chevènementistes et rocardiens. Trente ans plus tard, rien n'a donc beaucoup bougé.

Sur le fond, seule la réflexion sur le sort des primo-arrivants a avancé. Elus et spécialistes s'accordent désormais pour dire qu'il faut plus de moyens pour renforcer leur acquisition du français ou leur insertion professionnelle. Après la crise des banlieues en 2005, perçue comme une " crise de l'intégration ", la droite avait résumé sa réponse politique à la création du contrat d'accueil et d'intégration (CAI) pour les nouveaux venus.

Sept ans plus tard, la gauche se retrouve confrontée aux limites évidentes de cette action. Le pan le plus délicat du dossier " intégration " demeure bien celui qui concerne les Français issus de l'immigration. " C'est le deuxième volet de l'intégration. Celui de l'aménagement de la société multiculturelle, et sur le plan symbolique, de la construction d'une représentation collective ", estime Patrick Simon, directeur de l'unité migrations internationales et minorités de l'INED. " Mais sur ces aspects, on est au point mort. "

Durant la campagne présidentielle, Terra Nova, l'autre think tank du Parti socialiste, avait bien esquissé un début de réponse avec un " appel à une France métissée ". Suivant une ligne multiculturaliste, Terra Nova prônait notamment une " reconnaissance symbolique de l'islam et du judaïsme dans le calendrier républicain "ou " l'émergence d'une élite issue des minorités visibles "" On a jeté un pavé dans la mare, mais nos idées n'ont pas été reprises ", regrette Mehdi Thomas Allal, à Terra Nova.

Une mise à l'écart liée à l'autre fracture qui traverse depuis toujours la gauche : l'opposition entre les partisans d'une réponse sociale aux problèmes de discriminations et d'inégalités, et ceux, en perte de vitesse, favorables à une réponse sur critères ethniques. " Les rapports donnent juste l'impression que l'on troque l'échec social - dans les quartiers à population immigrée - contre une reconnaissance de la diversité ", déplore Daniel Keller, Grand maître du Grand Orient de France, tenant de la ligne républicaine.

Un débat " culturel " alimente cette division. Il s'est développé dans les pas de la Gauche populaire, créée en 2011. Proche de M. Valls, ce courant qui a le vent en poupe, s'est nourri des travaux de M. Bouvet, convaincu que la promotion des minorités, a, dans les années 1980, desservi les Démocrates américains face aux Républicains

Dans la pratique, le PS, comme la droite, est pris en tenaille entre les éléments de langage et les accommodements des élus sur le terrain face aux populations issues de l'immigration. " Les politiques entendent organiser la société multiculturelle sans le dire et placent "les blancs" ou "petits-blancs" au centre, décrypte M. Simon. C'est une politique du subterfuge, dangereuse : elle fait le lit du FN. Il faudrait une pédagogie assumée de la diversité. "

" Il y a des digues à tenir dans l'imaginaire collectif. En politique, on travaille sur l'imaginaire ", assume à sa manière Laurent Baumel, député et leader de la gauche populaire. Il comprend néanmoins que des élus en banlieue " adaptent la réponse républicaine et laïque au terrain ". " Dans ce contexte, la gauche est comme un boxeur groggy ", résume M. Keller, qui devait rencontrer le premier ministre, vendredi 20 décembre. Il comptait lui parler intégration. Mais le sujet sera-t-il encore à l'ordre du jour ?

Elise Vincent avec Stéphanie Le Bars

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