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samedi 7 juillet 2012

La FIFA fait le coup du foulard


6 juillet 2012 à 19:21 Libération
L'équipe iranienne célèbre sa victoire contre la Jordanie, en octobre 2010.
L'équipe iranienne célèbre sa victoire contre la Jordanie, en octobre 2010. (Photo Ali Jarekji. Reuters)
Recueilli par KIM HULLOT-GUIOT

Il n'y aurait pas de contre-indication médicale ou de sécurité à porter le voile pendant un match. Voilà comment la FIFA explique sa décision d'autoriser les footballeuses à jouer voilées. Ce sont la Confédération asiatique (AFC) et le prince Ali Bin al Hussein de Jordanie, vice-président de la FIFA, qui en avaient fait la demande il y a quelques mois ; les voilà contentés.

«C'est une bonne nouvelle pour nous. C'est bon pour la communauté musulmane», a expliqué à l'AFP Alex Soosay, le secrétaire général de l'AFC. «Cette décision, attendue avec impatience, fait notre très grande joie», a à son tout déclaré à l'AFP cheikha Naïma Al-Sabah, la présidente de la commission du sport féminin de la Fédération du Koweit.

Quant à la Fédération française de football (FFF), elle a fait savoir qu'elle n'autoriserait pas les joueuses à porter le voile, ce qui pourrait déclencher des polémiques quand reprendront les compétitions nationales ; et pourrait la mettre en porte-à-faux, entre le gouvernement (elle n'est que délégataire d'une mission de service public) et la Fifa.

Côté associations féministes, la nouvelle fait grincer des dents. Ni Putes Ni Soumises dénonce une «régression» et une «trahison des valeurs universelles et une violation de la charte de la FIFA».

Les politiques, eux, se sont très peu exprimés, prudence oblige. Le Front national a dénoncé «la soumission de la FIFA à des valeurs qui n'ont pas leur place dans le football», le Parti radical de gauche a sollicité officiellement une consultation à Valérie Fourneyron, la ministre des Sports, et un député UMP, Gérard Darmanain, a demandé l'interdiction du port du voile sur les terrains de football en France. Seule Chantal Jouanno, citée par la Dépêche du Midi, a estimé que«même si ça ne me plaît pas du tout sur le fond, ça évite que des femmes soient contraintes de ne pas pratiquer de sport, et c'est une bonne chose.» Au ministère des Sports, comme au ministère des Droits des femmes, que nous avons essayé de contacter à plusieurs reprises, c'est silence radio.

Fabienne Broucaret, journaliste indépendante et blogueuse, est l'auteur de l'ouvrage le Sport féminin. Le sport, dernier bastion du sexisme ? (éd. Michalon). Elle revient pour nous sur le port du voile dans le sport.

Que pensez-vous de cette décision ?

Ce n'est pas une bonne nouvelle, ni pour le sport en général ni pour les femmes en particulier. Le foot et le sport se veulent neutres, en matière de religion et de politique, et cette décision va à l'encontre de ce principe. Du point de vue des femmes, c'est un leurre de penser que cela va aider à les émanciper. Il faut voir d'où vient la demande : du Koweit, de l'Arabie Saoudite... des pays où les droits des femmes sont bafoués au quotidien, où elles ont parfois même jusqu'à l'interdiction de conduire !

Il ne faut pas confondre l'acceptation de la liberté et la défense de la domination masculine sur les femmes dans ces sociétés. Et, d'un point de vue sportif, j'aimerais voir quelqu'un courir quatre-vingt-dix minutes sous le soleil avec la tête voilée. Je ne suis pas sûre qu'on puisse être ainsi aussi performante que ses adversaires. Pour bien voir, ou faire une tête, cela pose aussi question.

L'argument de la FIFA, c'est justement que ça ne pose pas de problème au niveau médical ou au niveau de la sécurité...

Le voile me paraît sincèrement gênant : un match normal, c'est déjà éprouvant mais avec un voile, qui gêne la vision et tient chaud, ce n'est pas idéal.

Pour parler des droits des femmes. Cette décision est-elle stigmatisante ?

Accepter le voile, c'est ouvrir une brèche vers d'autres entorses au règlement. Que va-t-on vouloir ensuit  ? Que les bras soient couverts, que les jambes ne soient plus nues ? C'est le corps des femmes qui est stigmatisé, sous couvert de tolérance. Et les femmes musulmanes qui ne voudraient pas porter le voile seraient doublement stigmatisées.

Je crains beaucoup pour les pays du Maghreb qui sont en pleine révolution, en plein bouleversement et où on a beaucoup à craindre pour les droits des femmes. Va-t-on leur imposer le voile ? En 1992, aux jeux de Barcelone, l'athlète algérienne Hassiba Boulmerka, qui avait couru en short et tête nue, avait reçu des menaces de mort de la part d'intégristes religieux. Elle disait qu'elle n'irait pas en short à la mosquée ni voilée sur une piste. Pour toutes ces femmes qui se sont battues, c'est une régression.

Mais n'est-ce pas une question d'égalité entre les sportives, qu'elles soient voilées ou non ?

L'égalité serait qu'elles jouent toutes dans la même tenue, sans signe religieux ou politique. Tout le monde joue pour les couleurs de son club ; autoriser le voile, c'est inclure la religion là où elle n'a pas lieu d'être, c'est autoriser le particularisme religieux, alors qu'on joue toutes avec un ballon de la même manière.

On pourrait dire qu'il vaut mieux des femmes voilées que pas de femmes du tout...

C'est en effet le principal argument des partisans du voile. On verra si cette décision amène plus de femmes dans les équipes de foot, si les petites filles seront plus nombreuses dans les équipes... Personnellement, j'ai un gros doute. Alors oui, elles feront du sport, mais pas librement, car elles devront se plier aux règles. Ce n'est pas épanouissant. C'est dur qu'on prive ces femmes de sport, mais qui les en prive, au fond ? Pas ceux qui prônent l'absence de signes religieux.

Ce ne sera pas la première fois que l'on verra des femmes voilées dans des compétitions sportives... Il y a eu par exemple Rakia Al-Gassra, une sprinteuse du Bahrein, qui courrait à Pekin en 2008 avec un jogging et la tête couverte...

Cela a commencé en 1996, avec la tireuse à la carabine iranienne Lyda Fariman, qui avait fait la compétition des JO d'Atlanta voilée. En 2004 à Athènes, lors de la cérémonie de clôture, une ancienne championne égyptienne de natation était voilée... à deux pas du drapeau olympique. Jusqu'à maintenant, la Fifa n'avait pas cédé. Aux JO de Londres, le débat va ressortir.

Dans votre ouvrage, vous évoquez les «Jeux de la solidarité» qui ont lieu en Iran... Cette décision relève-t-elle du même esprit ?

Oui, même si on est à un autre niveau, puisque dans ces jeux, les femmes sont confinées. C'est une compétition iranienne, un genre d'olympiades auxquelles ne participent que des femmes musulmanes. Les hommes sont interdits, comme les journalistes : tout est fait pour préserver le secret. En fait, les femmes font du sport, mais complètement cachées, ce que veulent des pays comme l'Arabie Saoudite, qui n'a jamais envoyé de femmes aux Jeux olympiques.

L'Arabie Saoudite veut aussi créer un label pour les athlètes musulmans : si des femmes finissent par concourir aux Jeux olympiques, elles devront avoir un chaperon, il n'y aura pas de mixité... Par rapport à l'autorisation du port du voile par la FIFA, ces jeux sont le cran d'après, mais c'est le même genre d'idée.

Vous évoquez, toujours dans votre livre, le fait que le Moyen-Orient investit beaucoup dans le sport. Pour adapter la formule de la sociologue Catherine Louveau, est-ce à dire que les droits des femmes seraient solubles dans le capital ?

Oui. Si on compare la question des signes religieux, à celle des signes politiques, c'est criant. L'article 51 de la charte olympique dispose«qu'aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n'est autorisée». Aux Jeux de Pékin, en 2008, le CIO a refusé que les athlètes portent un badge en faveur des droits de l'homme, alors même que le slogan, «pour un monde meilleur» était extrait de la charte olympique.

Déjà, aux JO de Mexico en 1968, les athlètes Tommie Smith et John Carlos, qui avaient levé le point en hommage au mouvement Black Panthers, avaient été exclus à vie. Rebelote quand les footballeurs anglais ont voulu porter un coquelicot en hommage aux victimes de guerre, la Fifa a appliqué très strictement le règlement à la lettre. Manifestement, elle ne l'applique pas de la même façon pour le voile...

Il ne faut pas oublier que depuis quelques années, dans le foot, le Qatar, qui veut d'ailleurs organiser des JO, fait de forts investissements. Que la FIFA, qui a résisté pendant des années, cède maintenant ne me paraît pas être un hasard.

Voyez-vous dans cette décision une forme de «propagande culturelle», avec de possibles effets d'entraînement ?

Ce qui est fort, c'est que ce sont des particularités qui n'existent pas dans la majorité des pays, mais on l'impose à tous. Cela fait partie d'un discours beaucoup plus large, d'autant que le foot, c'est le sport numéro 1. C'est sur un message fort que la FIFA cède : et c'est un symbole que l'Iran se félicite de cette décision !

A Narbonne, en mars dernier, un arbitre avait refusé d'arbitrer un match car des joueuses s'étaient présentées voilées. En France, on suit généralement les règles de la FIFA ; ça ne sera pas sans conséquence.

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