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lundi 13 août 2012

Comment se marient les enfants d'immigrés - Le Monde, 13 août 2012



Il faut deux générations pour que la vie de couple des fils et filles de musulmans ressemble à celle des autres Français

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Quel genre de couples forment les enfants d'immigrés ? Comment et où se rencontrent-ils ? Quel est le poids de l'héritage culturel de leurs parents ? Alors que les fils et les filles des immigrés venus en France entre les années 1950 et 1970 sont aujourd'hui en âge de se mettre en ménage, deux sociologues ont mené une enquête sur les pratiques amoureuses et conjugales de ces jeunes adultes de la " deuxième génération ".

Dans leur ouvrage intitulé Couples d'ici, parents d'ailleurs, paru en avril aux Presses universitaires de France (PUF), Beate Collet, maître de conférences à l'université Paris-Sorbonne, et Emmanuelle Santelli, chargée de recherche au CNRS, se penchent en particulier sur les jeunes couples d'origine maghrébine, turque et sahélienne.

Leurs parents représentent en effet l'essentiel de l'immigration d'après-guerre, et ils ont un point commun : la référence à la religion musulmane.

Les auteurs de l'ouvrage ont analysé des données statistiques de la vaste enquête " Trajectoires et origines " (réalisée en 2008 par l'INED et l'Insee auprès de 22 000 personnes nées entre 1948 et 1990), et les discours de plusieurs dizaines de couples volontaires lors d'entretiens individuels. D'après elles, ces ménages se caractérisent par une sorte d'" émancipation " relativement lente des valeurs conjugales et familiales de leurs parents. " Les processus de transformation culturelle sont plus longs qu'on l'imagine, il faut compter deux générations ", constate Mme Collet.

D'après les chercheuses, 64 % des descendants d'immigrés se sont en effet mariés " avant ou en même temps " qu'ils ont commencé leur vie conjugale, contre 13 % des couples de la population majoritaire, c'est-à-dire les Français dont les deux parents sont nés en France. De même, seuls 19 % des enfants d'immigrés ont cohabité avant le mariage, contre 48 % pour les autres ménages. Enfin, ces couples issus de l'immigration ne sont que 17 % à cohabiter sans être mariés, contre 39 % pour les autres.

Chez les jeunes couples de la population majoritaire, l'accès à la vie conjugale passe souvent par des " moments flous ", estime Mme Collet. " Ils s'installent à l'essai, n'ont pas nécessairement fini leurs études ou acquis une indépendance financière... " Or, chez les couples d'origine maghrébine, turque ou sahélienne, " les pratiques conjugales sont encore proches des habitudes françaises des années 1950-1960 ", analyse la chercheuse. Les ménages gardent leurs relations amoureuses secrètes, notamment les jeunes femmes. Seul le futur mari est présenté aux parents, et 32 % ont rencontré leur conjoint par l'intermédiaire de la famille.

Des points communs existent néanmoins. Les descendants d'immigrés, comme les couples de la population majoritaire, se choisissent en grande majorité " librement ". Quand ils se marient, ils combinent mariage civil et cérémonie religieuse, même si, dans les faits, ils ne sont pas très pratiquants. Une fois en couple, ils ont recours dans les mêmes proportions à la contraception (plus de 60 %). Ils n'ont enfin pas plus d'enfants que la moyenne des Français, et les femmes avec enfants participent massivement au marché de l'emploi.

Au-delà de ces tendances générales, les universitaires ont creusé la question sensible de l'endogamie, aussi appelée " entre-soi ". L'idée : essayer de déterminer ce qui peut inciter les descendants d'immigrés - bien qu'ils soient français de naissance à 88 % - à se marier entre eux. Les couples " endogames " sont en effet largement plus nombreux que les couples mixtes : 61 % contre 39 %. Et parmi les premiers, 39 % se mettent en couple avec des immigrés originaires du même pays ou de la même aire géographique que leurs parents.

Ces chiffres recouvrent toutefois trois manières différentes de " faire couple ", selon les universitaires. La première, minoritaire, est celle de ménages qui se sont formés dans le cadre d'un entre-soi qu'elles qualifient de " déterminé " - c'est-à-dire très proche de la pratique matrimoniale héritée des parents.

Ces couples-là vivent souvent dans des quartiers défavorisés. Les femmes sont passées" sans transition du statut de "filles vierges" à celui de "femmes mariées" ". Et les garçons ont généralement confié à leurs parents " la responsabilité de leur choisir une "bonne épouse" ", parfois dans le pays d'origine.

Le deuxième type de ménage s'est constitué lui, dans le cadre d'un entre-soi que les chercheuses qualifient de " négocié ". Des " éléments de la culture d'origine sont combinés avec les manières de faire de la société française ". Maris et femmes ont notamment pu expérimenter plus facilement des " relations affectives " avec la population majoritaire au cours de leur jeunesse.

Chez eux, le souci de " garder ses racines " reste toutefois très prégnant. Les préférences amoureuses pour une personne appartenant " au même groupe socioethnique " sont alors argumentées par des critères " esthétiques " ou d'éducation. Ces ménages se sont souvent rencontrés dans des fêtes de famille, dans leur quartier ou lors de vacances dans le pays d'origine de leurs parents. Il arrive aussi qu'ils soient passés par des sites de rencontres communautaires spécialisés pour les Maghrébins ou les " blacks ".

Le troisième entre-soi est dit " émancipé ". Ces couples-là " cherchent volontairement à sortir des normes de leur milieu d'origine. Ils ne se plient pas toujours au rite du mariage, peuvent cohabiter avant de se marier et sont souvent en couple mixte ", détaillent Mmes Collet et Santelli. Chez les femmes notamment, le fait de choisir un conjoint qui n'est pas du même groupe ethnoculturel peut être lié à l'idée que ces derniers seraient plus " autoritaires " que les autres. Ces couples habitent généralement dans les quartiers mixtes des grandes villes. Eux-mêmes et leurs parents sont relativement diplômés, et leurs mères ont eu une activité professionnelle.

De façon générale, chez ces jeunes adultes de la " seconde génération ", reprend Mme Collet, " la volonté de construire un entre-soi reste forte ". Elle est notamment liée " à l'expérience partagée d'avoir eu des parents immigrés ou d'avoir vécu en banlieue ". Mais quel que soit leur degré d'entre-soi, " ils se choisissent comme la majorité des Français : sur la base de ressemblances sociales et culturelles ".

Elise Vincent

© Le Monde

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