SOMMAIRE

Rechercher dans ce blog

mardi 7 août 2012

Pas de discrimination à l'embauche pour ceux qui observent le jeûne du ramadan- Le Monde 8 août





Saad Khiari est auteur, avec Henri de Saint-Bon,

de " Catholique, musulman, je te connais, moi non plus "

(Ed : F.-X. de Guibert, 2007)

A Gennevilliers, le maire a probablement fait une lecture particulière du principe de précaution, à l'idée que sa responsabilité serait engagée au moindre incident durant le ramadan.

La clause contractuelle obligeant les moniteurs de colonies de vacances à " se restaurer et à s'hydrater convenablement " pour prévenir toute défaillance due à l'état de jeûne aurait pu passer pour une maladresse d'un édile pointilleux qui aurait ignoré le calendrier.

Or, et c'est là où l'on peut commencer à comprendre l'indignation quasi générale, cette clause visait sans aucun doute des employés de confession musulmane et donc jeûneurs potentiels, et devient dès lors abusive puisqu'elle introduit dans un contrat de travail des obligations contraires à la liberté du culte.

Sauf à considérer que jeûner " trouble l'ordre public établi par la loi " (article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen), auquel cas il faudrait introduire une batterie de codicilles pour les adeptes des régimes amaigrissants et pour ceux qui ne déjeunent jamais le matin.

Sans compter qu'il faudrait mettre au point un système auquel seraient soumises toutes les personnes exerçant un métier à risques (pilotes, conducteurs de trains, aiguilleurs du ciel, ouvriers du bâtiment, chirurgiens...) : une sorte de " nutritest " dans lequel il faudrait souffler pour obtenir des indications précises sur le nombre de calories ingérées ainsi que sur l'équilibre nutritionnel des aliments consommés.

Sans doute le maire n'avait pas pensé qu'en imposant une telle disposition, il allait se retrouver devant un cas de discrimination à l'embauche. Cette clause vise, qu'on le veuille ou non, l'exercice d'un culte garanti par l'article I de la Constitution de 1958 et ouvre forcément la voie à la discrimination à l'embauche, à cause de patronymes induisant ipso facto la pratique religieuse.

Cette obligation rituelle, qui prescrit le jeûne du lever au coucher du soleil, serait-elle rigoureuse au point qu'elle ne souffrirait d'aucun aménagement qui la rendrait moins contraignante ?

La réponse est non ! " Pas de contrainte en religion " prescrit le Coran (II/256). Elle est on ne peut plus claire : ne pas contraindre les autres et ne pas se contraindre soi-même ; laisser en quelque sorte la raison dialoguer avec la foi. " Ne prenez pas le risque de mettre votre corps en danger " (II/195).

Ces deux versets suffisent à renvoyer dos à dos les musulmans qui font une lecture littéraliste du Coran et certains " spécialistes " de l'islam, souvent invités sur les plateaux de télévision qui en font une lecture apocalyptique. Les malades, les femmes enceintes, les personnes très âgées et les voyageurs en sont dispensés ou peuvent différer le jeûne à d'autres dates.

La pratique religieuse étant une affaire personnelle, le musulman est d'abord jugé sur son intention avant de l'être sur ses actes. Enfin, les docteurs de la foi sont au service des fidèles pour leur prodiguer conseils et solutions adaptés à leurs problèmes.

Ce sont les mêmes qui rappellent périodiquement aux musulmans minoritaires dans leurs pays d'accueil ou d'adoption, qu'ils doivent se soumettre aux lois de la majorité sans pour autant renoncer à leur culte ni à la culture et aux traditions qui les constituent.

Ainsi est-il permis au fidèle de regrouper ses prières le soir chez lui quand les conditions de travail et de vie l'empêchent de prier aux heures légales. De même que personne ne l'oblige à prier dans la rue quel que soit le prétexte, dès l'instant qu'il risque de porter atteinte à la liberté d'autrui. L'islam recommande le dialogue et la concertation. Et le consensus est l'une des règles les plus importantes en matière de jurisprudence religieuse.

Quand on a dit cela, on a répondu en partie à ceux qui restent perplexes devant l'émergence d'une religion dont ils ne connaissent pas grand-chose et dont les circonstances de sa rencontre avec l'Occident et la fin des empires coloniaux ont brouillé le message.

Reste qu'il est légitime de s'interroger sur une forme de fascination dont fait l'objet le ramadan. Il est vrai que, chaque année, il suscite chez beaucoup de monde la même curiosité teintée d'angoisse, et si on veut savoir pourquoi il fait l'objet d'une médiatisation, pas toujours dénuée d'arrière-pensées du reste, il suffit de le replacer dans le même contexte que celui de la prière dans la rue, de la viande halal et de la burqa : trois épisodes opportunément mis en scène et qui ont failli amener au pouvoir certaines dérives de la droite républicaine, n'était l'immense sagesse du peuple français.

Gageons que cet islam-là sera un bon marronnier pour les années à venir. Plus prosaïquement, la tradition, mais aussi l'ambiance générale de plus en plus festive et, dans certains cas, l'occasion de " marquer son territoire ", de " se compter " ou de " réaffirmer son appartenance " sont autant de raisons qui en font un rendez-vous annuel important pour beaucoup de musulmans.

On peut comprendre l'émotion des moniteurs de colonies de vacances et donner acte de sa bonne foi au maire de Gennevilliers qui, sagement, est revenu sur sa décision. Mais l'incident n'est pas clos pour autant et pourrait même repartir comme un feu mal éteint.

C'est par la concertation et le dialogue que toutes les parties intéressées devraient rendre aux religions toute la place qui leur revient au sein d'un espace laïc qui, précisément, leur garantit la liberté d'expression, et prévenir ainsi tout risque de crise à venir.

Saad Khiari

Chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Paris

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire