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samedi 27 juillet 2013

La gauche s'éloigne un peu plus encore des quartiers populaires PAR STÉPHANE ALLIÈS LE 27 JUILLET 2013

Valls à Trappes.Valls à Trappes.
Les événements de Trappes ne font qu'entériner une évolution débutée avec la loi anti-niqab de 2010, alors votée avec le consentement du PS. Tandis que la droite se complaît dans les amalgames, la gauche se réfugie derrière la défense de l'ordre et d'une laïcité de fer. Les quartiers populaires, qui avaient massivement voté Hollande, désespèrent.

De l'embarras à l'abandon. Les événements de Trappes (Yvelines) sont un nouveau révélateur du rapport de plus en plus crispé entretenu par la gauche française avec les quartiers populaires. Guère au clair sur les questions de laïcité, d'islam, ou de sécurité, les différents partis de gauche semblent aujourd'hui démunis face à des problématiques urbaines qu'ils n'ont pas franchement travaillé du temps où ils étaient dans l'opposition.

Le pouvoir socialiste use aujourd'hui de la même méthode que ses prédécesseurs face à l'irruption de violences urbaines consécutives à des interpellations policières qui tournent mal : soutenir d'emblée les policiers, défendre par principe l'ordre républicain, et céder aux amalgames et aux facilités de la stigmatisation, ou observer un assourdissant silence. Depuis que le contrôle d'identité d'une femme en niqab a mal tourné, vendredi dernier à Trappes (lire notre article), l'exécutif a laissé Manuel Valls occuper l'espace médiatique, seul.

Le ministre de l'intérieur s'est jusqu'ici distingué par ses réserves sur le droit de vote des étrangers. Il a enterré sans ménagement la procédure du récépissé de contrôle d'identité, ou a critiqué l'arrêt de la Cour de cassation n'autorisant pas la crèche Baby-loup à refuser l'embauche d'assistantes maternelles voilées. De samedi à lundi dernier, Valls n'a cessé d'alimenter la chronique médiatique, comme aux plus belles heures du Kärcher sarkozyste, au point d'embarquer une grande majorité de la classe politique derrière lui. Consentante sans mot dire.

Valls assume ainsi avec aise l'application de la loi interdisant le niqab (« d'ailleurs, je l'ai votée » – avec dix-sept autres députés socialistes), au contraire d'une grande majorité du groupe PS d'alors qui s'était abstenue, Jean-Marc Ayrault et François Hollande inclus. Le ministre de l'intérieur a une idée bien précise du respect de la loi, qui pourrait surprendre de la part d'un fils de républicain anti-franquiste : « Quelles que soient les circonstances, on ne conteste pas l'autorité de l'État. »

Lui défend les policiers d'emblée, par principe.« Ils ont fait leur travail avec professionnalisme, respect des personnes et sens de la déontologie », a-t-il ainsi assuré dès le lendemain des affrontements de vendredi soir. Depuis, une enquête de l'IGPN a été ouverte, lundi soir, après la révélation de propos racistes de policiers sur un forum, dont certains auraient été présents à Trappes. Le défenseur des droits s'est lui saisi du cas d'un adolescent de 14 ans, qui a perdu un œil suite à un tir de Flash-ball lors des affrontements. Sur ces sujets, Valls, en revanche, ne dit rien.

Alors même qu'il a d'abord affiché sa prudence, appelant à « éviter les amalgames », expliquant qu'il fallait distinguer « 200 voyous » d'une « ville qui compte 30 000 habitants », Manuel Valls n'a pu s'empêcher de lâcher dans la foulée : « Je sais quels peuvent être les liens entre des groupes qui s'en prennent à nos institutions et des groupes fondamentalistes, c'est une réalité qui existe dans un certain nombre de nos villes. » Une assertion qui colle à la position de l'exécutif, pour lequel la forte présence d'une communauté salafiste à Trappes suffit à conclure à un contexte particulier, pour qualifier les événements du week-end.

Preuve du relatif désintérêt du gouvernement, les événements de Trappes n'ont pas été au menu de la réunion des directeurs de cabinet en ce début de semaine. Manuel Valls a le champ libre pour imprimer sa marque.

Mais à force de s'ébrouer dans le champ de la communication toute personnalisée, le ministre s'est brûlé les ailes. Face à la sœur d'un jeune interpellé, croisée dans le quartier des Merisiers, à Trappes, il s'irrite vite : « La mise en cause d'un élu, d'un ministre, des forces de l'ordre, y compris dans vos mots, montre bien qu'il y a un problème», réplique-t-il sèchement à celle qui a pourtant condamné l'attaque du commissariat, mais demande davantage d'écoute et de prise en compte des problèmes vécus au quotidien. Au moment où un rapport sur « l'empowerment à la française » vient d'être remis au gouvernement (lire ici), rarement la mise en images de la déconnexion entre élus et quartiers populaires n'a été si frappante.

Manuel Valls à Trappes, le 22 juillet 2013

Sans surprise, Valls a ensuite estimé que la scène avait été « sans doute fabriquée », retrouvant ses inclinations un brin paranoïaques, qui lui font voir des « ennemis de l'intérieur » à tout bout de champ (par exemple ici à Marseille ou là, devant le Sénat), ou encore des « sectes prônant le djihad et la haine de la France à l'intérieur de nos quartiers » (à la tribune du dernier congrès PS de Toulouse, sous les acclamations des délégué socialistes).

Avec un souci de rééquilibrage, Jean-Marc Ayrault a préféré jouer l'apaisement lundi soir.« La République doit rappeler sans cesse les règles, les faire appliquer quand il le faut avec la plus grande sévérité », a-t-il ainsi déclaré lors d'un déplacement à Grenoble, tout en ajoutant qu'« en même temps, la République doit tenir ses promesses et n'abandonner personne ». Contrairement à de précédents épisodes quand l'ordre public est troublé, nulle consigne n'a été donnée cette fois-ci aux autres membres du gouvernement quant à leur expression.

Mais hormis la ministre du logement Cécile Duflot, qui a franchement nuancé le propos sécuritaire, et son ministre délégué à la ville François Lamy (qui se rend à Trappes en fin de semaine pour discuter avec les habitants), peu ont divergé de la ligne républicaine musclée de leur collègue de l'intérieur. Comme si celle-ci s'était définitivement imposée dans son camp, Valls profitant de l'impensé de ses camarades, comme de ses concurrents à gauche, sur le sujet.

De rares voix pour rompre le silence de la gauche

François Hollande en visite à Trappes, le 3 septembre 2012François Hollande en visite à Trappes, le 3 septembre 2012© Reuters

À gauche, les questions touchant les quartiers populaires n'entraînent pour l'heure aucun mouvement de réflexion en profondeur, bien que sa population ait massivement voté pour elle (autour de 60 % pour Hollande, 20 % pour Mélenchon) lors de la dernière présidentielle. Avec des taux de participation certes inférieurs à la moyenne nationale, mais bien plus élevés que lors des précédents scrutins locaux et européens. C'était le signe d'une remobilisation ponctuelle, mais qui s'est depuis désespérée de ne rien voir venir.

Depuis que les événements de Trappes ont eu lieu, les partis de gauche n'ont pas fait dans la surenchère de communiqués, loin de là. Il a fallu attendre mardi après-midi pour qu'Europe Écologie-Les Verts (EELV - lire ici) et le NPA (lire ici) sortent de leur silence, pour critiquer durement le ministère de l'intérieur et le comportement des forces de l'ordre. Dès lundi, les parlementaires écologistes Noël Mamère (lire ici) et Esther Benbassa (lire ici) ont chacun publié une tribune remettant fortement en cause le modèle laïque français et la continuité de pratiques discriminatoires.

« La vulgate anticommunautariste n'est qu'un prêt-à-penser inutile pour comprendre notre société multiculturelle, écrit le député Mamère.Il faudra un jour dépasser cette contradiction : ou accepter une certaine logique communautaire, ou appliquer l'égalité réelle des droits. » « S'il n'est pas question d'encourager le port de la "burqa" dans l'espace public ni de le tolérer dans l'indifférence, force est de constater que la loi de 2011 n'a pas eu l'effet escompté, renchérit la sénatrice Benbassa. (…) Cette loi n'a servi qu'à une chose, à stigmatiser un peu plus les musulmans. »

Les partis du Front de gauche partagent ce même goût de l'absence de commentaires officiels sur Trappes. Hormis la Gauche anticapitaliste (scission du NPA - lire ici) qui a axé sa critique sur le ministre de l'intérieur ce mercredi, aucun communiqué n'a été publié par le PCF ou le Parti de gauche, alors même que les débats sur ces questions divisent les composantes de l'autre gauche. Les déchirements après la candidature d'Ilham Moussaïd, une militante du NPA portant un foulard et investie tête de liste départementale lors des dernières régionales de 2010 (lire ici), ont laissé des traces.

Les divisions furent tellement nettes parmi les anticapitalistes (lire ici), comme chez les autres militants du Front de gauche, qu'un consensus s'est peu à peu dégagé, pour mettre le sujet sous le tapis, plaçant du même coup les quartiers hors de ses radars militants. Pourtant, l'expérience vite avortée de l'implantation du NPA dans les banlieues avait vu émerger de nouveaux profils militants motivés et dynamiques (par exemple à Avignon), cassant les codes des bienséances partisanes et les certitudes idéologiques, parfois de façon réjouissante. 

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