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lundi 22 juillet 2013

"L'erreur serait de réduire les événements de Trappes à leur caractère religieux" LE MONDE | 22.07.2013 à 08h53 • Mis à jour le 22.07.2013 Propos recueillis par Nicolas Chapuis


Des policiers en faction à Trappes, samedi 20 juillet.

Hicham Benaissa, chercheur au Groupe sociétés, religions, laïcités du CNRS, décrypte le rôle du religieux dans les événements survenus à Trappes (Yvelines) entre le vendredi 19 et dimanche 21 juillet, après le contrôle de police d'une femme intégralement voilée. Il analyse aussi l'impact de la loi interdisant le port du niqab dans la communauté musulmane de France.

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Qu'est-ce qui explique, selon vous, cette soudaine flambée de violence ? Y a-t-il une spécificité de la communauté musulmane de Trappes, ou ces événements auraient-ils pu éclater ailleurs ?

Il n'y a pas vraiment de particularité de la communauté musulmane de Trappes, et ces événements auraient très bien pu se produire à un autre endroit. Deux facteurs peuvent expliquer ce qui s'est passé. Le premier est conjoncturel. Nous traversons une période où de nombreux musulmans en France considèrent que l'islamophobie n'est pas réellement prise en compte par les pouvoirs publics. Il y a eu plusieurs agressions à caractère islamophobe ces derniers temps. Une grande partie de la communauté musulmane trouve que ces faits ne sont pas assez relayés dans les médias et pas condamnés assez fermement par les responsables politiques.

Il en découle une grande défiance vers l'extérieur et vis-à-vis des autorités. Ce n'est d'ailleurs pas anodin que les incidents commencent après un contrôle de police.

Le deuxième aspect est d'ordre structurel. La question religieuse vient ici habiller des questions sociales beaucoup plus enracinées. Il y a un sentiment de marginalisation dans ces quartiers, avec un taux de chômage élevé, une délinquance présente. La question religieuse et celle de l'islamophobie viennent renforcer ce sentiment d'injustice. Il me semble que le conjoncturel est inséparable du structurel.

Faut-il n'y voir que l'oeuvre d'une petite frange de musulmans radicaux qui défendent le droit de porter le niqab ?

Dans ce type d'événements, on retrouve des personnes très différentes. Il y a des jeunes très religieux, et d'autres qui ne le sont que très vaguement. Cela dépasse la simple question du niqab. La religion joue ici le rôle de structure unificatrice, mais le malaise qui s'exprime est plus profond.

Comment les musulmans vivent-ils ces événements ? Craignent-ils d'être davantage stigmatisés ?

Sociologiquement, on ne peut pas parler des "musulmans" d'une manière générale. On peut retrouver des réactions très diverses face à ces événements, même si la majorité d'entre eux condamnent ces actes de violence. Néanmoins, on peut observer chez la plupart des musulmans un consensus tacite autour de l'idée que les actes islamophobes ne sont pas suffisamment condamnés et d'un traitement "deux poids deux mesures". C'est parce que certains d'entre eux se sentent déjà stigmatisés qu'ils se stigmatisent encore davantage.

La loi de 2011 qui interdit le port du niqab sur la voie publique est-elle acceptée par les musulmans et joue-t-elle un rôle dans le malaise que vous évoquez ?

La loi sur le niqab n'est pas perçue de façon monolithique par les musulmans. Certains considèrent que c'était une bonne chose de l'interdire. Pour beaucoup de musulmans, ça ne correspond de toute façon pas à leurs coutumes et à leurs pratiques religieuses, le voile intégral étant issu de la tradition arabique. Ils n'ont donc pas l'habitude d'en voir dans leurs pays d'origine.

Mais pour d'autres, cette loi a pu être perçue, dans le contexte actuel, comme un geste de défiance supplémentaire de la part des autorités envers les musulmans de France, vu le peu de femmes concernées.

Ces événements ont lieu en plein mois de ramadan. Les échauffourées ont d'ailleurs éclaté après la rupture du jeûne. Est-ce un élément important ?

Oui, c'est sans doute un facteur à prendre en compte. Il peut agir comme facteur d'apaisement. Pendant le ramadan, tout acte de violence est condamné. Néanmoins, il peut également provoquer de la ferveur dans les actes et les discours. Le contexte religieux ajoute un supplément d'émotions à la question sociale.

L'erreur serait de réduire cet événement à son évidence première, c'est-à-dire à son caractère religieux. Il est indissociable des dimensions conjoncturelle et structurelle évoquées. Persister à ne voir que du religieux ou du communautaire, c'est repousser le problème à plus tard.

Nicolas Chapuis

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