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mercredi 24 juillet 2013

Pour une reconnaissance de la diversité religieuse 24.07.2013 | Le Monde.fr Hugues Lagrange (Sociologue, directeur de recherche au CNRS)


Devant une boulangerie de Trappes, samedi 20 juillet, au lendemain de la premières nuit de violences. AGNES DHERBEYS POUR LE MONDE

Les événements des 20 et 21 juillet à Trappes, à la suite de l'interpellation d'une femme portant un niqab, appellent une réflexion moins sur les quartiers sensibles ou sur l'islam salafiste que sur notre laïcité.

La question du chômage des jeunes est réelle et préoccupante mais elle ne concerne pas plus les Merisiers que des centaines d'autres zones urbaines sensibles. La cité des Merisiers, comparable à celles des Mureaux ou de Mantes-la-Jolie, a fait l'objet dans le cadre du Programme national de rénovation urbaine de transformations considérables : rénovation, résidentialisation, aires de jeux. Et si la création d'une pépinière d'entreprises ne réduit pas le chômage, elle traduit un dynamisme économique local.

>> Lire : "Trappes : le récit d'un week-end sous tension" (Edition abonnés)

Ce qui s'est passé à Trappes révèle d'abord l'absurdité de contrôles opérés en plein Ramadan, en application littérale de la loi de 2011 (interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public), elle témoigne de notre incapacité à construire un espace public véritablement pluriel et une laïcité ouverte. Le gouvernement, relayant là une large fraction de l'opinion, peine à dépasser une vision crispée de la loi de 1905 dont l'article 2 précise que la République non seulement ne"subventionne aucun culte" mais aussi n'en "reconnaît" aucun.

Certes la circulation de femmes en niqab quelques milliers n'est pas l'expression la plus émancipée de la diversité des moeurs. Mais peut-on se contenter d'accueillir une altérité taillée sur mesure, de reconnaître l'Autre seulement s'il est comme nous le souhaitons ? Nous sommes à un moment où la République ne peut plus proposer à ceux qu'elle a admis sur son territoire le compromis constitutif de l'Etat social.

La disparité croissante des revenus, l'augmentation de la pauvreté, le chômage sélectif qui touche les jeunes issus des immigrations africaines, surtout quand ils sont diplômés, et les jeunes des quartiers sensibles en général, ont ruiné le pacte social. Ils ont détruit ce qui rendait acceptable le discours des droits et des devoirs à la base d'une conception de l'intégration comme assimilation.

RÉACTIONS ETHNOCENTRIQUES

Dans les sociétés européennes, les réactions ethnocentriques des populations autochtones à l'égard des musulmans se sont multipliées. Ce durcissement de l'identité nationale est en France à l'origine de disposition comme la loi de 2004 et celle de 2011. Or, si la loi sur le voile à l'école bride l'expression de la religiosité, elle régit les conduites dans un cadre, l'école publique, dont on admet qu'il implique des restrictions. La loi de 2011, visant sans le nommer le voile intégral, atteint directement l'expression de la religiosité dans l'espace public et de ce fait l'expression d'un pluralisme religieux en France.

>> Lire la tribune de Jean-François Copé : "Il ne faut pas céder face à l'intégrisme religieux !"

Il y a une tension entre deux objectifs aujourd'hui revendiqués par la majorité : la promotion de la diversité et celle de l'égalité entre tous les individus. La promotion de la diversité a été engagée dans les entreprises privées (signataires de la Charte de la diversité), dans les médias audiovisuels y compris les chaînes publiques. Pourtant l'attitude de l'Etat est difficile à lire : lorsqu'il s'agit de service public, l'interdiction du voile s'impose (arrêt du Conseil d'Etat concernant une employée de la CAF) mais quand il y a seulement une délégation du service public comme dans le cas de la crèche Babyloup, l'interdiction du voile ne s'impose pas. Ces distinctions cachent mal les oscillations d'une politique publique qui aimerait donner des gages à une promotion de la diversité dans l'air du temps, mais doit aussi accéder aux requêtes d'une laïcité intransigeante.

BÂTIR UNE SOCIÉTÉ INCLUSIVE

En nous focalisant sur la neutralité de l'espace public nous avons une visée uniformisante et non pas universelle. S'il y a des tensions entre nos principes, il me semble qu'existe une voie qui éviterait les crispations identitaires. On peut promouvoir la diversité sans faire de concessions sur l'égalité entre les sexes : ainsi pas de prohibitions spécifiques à un sexe, pas d'horaires séparés dans les piscines municipales, pas de choix du sexe du médecin à l'hôpital.

Parallèlement, bâtir une société inclusive implique de ne pas chercher à enfermer l'autre dans un moule unique, de ne pas le priver du droit à sa culture, du droit de "préserver, comme le dit Avishaï Margalit, sa façon de vivre et les traits qui sont à ses yeux et à ceux des autres membres du groupe des composantes essentielles de son identité".

>> Lire la tribune du professeur de science politique, Jacques de Maillard : "Le voile révèle les failles du pacte républicain"

Olivier Roy souligne que le rapport des musulmans au politique, soit s'inscrit dans la vie ordinaire, soit passe par une surpolitisation, car pour les musulmans, à la différence des catholiques, le rapport au politique n'est pas médiatisé par une Eglise. L'expression publique de la religiosité est un aspect central de l'existence de l'identité religieuse, et de ce fait les manifestations ostensibles de la religiosité ont une portée plus significative. Si l'on prétend combattre les dérives possibles vers l'islam politique on n'a pas intérêt à empêcher les expressions ordinaires de la religiosité en islam.

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