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vendredi 2 août 2013

Voile intégral : une loi difficilement applicable, Le Monde.fr | 02.08.2013 Par Elvire Camus



Une femme portant le niqab manifeste devant Notre Dame de Paris, lundi 11 avril 2011, pour protester contre la loi sur le voile.

Plus de deux ans après l'entrée en vigueur de la loi interdisant son port sur la voie publique, la question du voile intégral n'est pas résolue. Le 19 juillet, le contrôle d'identité d'une femme portant le voile intégral à Trappes (Yvelines) a mal tourné et a déclenché plusieurs nuits de violences. Un mois plus tôt, des heurts avaient opposé plusieurs policiers à des habitants d'Argenteuil (Val-d'Oise), après un tel contrôle. Si dans la plupart des cas, ces contrôles de routine se déroulent sans difficulté, les incidents relatifs à l'application de la loi dite "sur la burqa" sont réguliers et relancent le débat autour d'un texte difficile à appliquer et considéré comme étant stigmatisant par une partie des musulmans de France.

Depuis la promulgation de la "loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public", le 11 avril 2011, 902 personnes ont été contrôlées et 830 ont reçu une amende pouvant aller jusqu'à 150 euros, selon le ministère de l'intérieur. Les autres ont reçu un avertissement. S'il est difficile d'obtenir des chiffres précis, les renseignements intérieurs estimaient en 2009 que 2 000 femmes portaient le niqab ou la burqa en France. Le premier est surtout porté dans les pays du golfe Persique, il couvre le corps, les cheveux et le visage, mais pas les yeux, tandis que la burqa, d'origine afghane, couvre également les yeux par une grille en tissu. Les femmes qui portent ce type de vêtement représentent une minorité comparée aux 4 millions de musulmans qui vivent en France, ce qui pose la question de la légitimité d'une loi qui ne concerne qu'une poignée de personnes.

"Dès le départ, on a constaté que cette loi était mal préparée et qu'elle ne correspondait pas à la réalité parce qu'elle s'adressait à un phénomène marginal", affirme M'hammed Henniche, secrétaire général de l'Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis (UAM93). Selon lui, la loi qui vise à interdire le port du voile intégral dans les lieux publics est une discrimination de plus pour la majorité des musulmans.

Hicham Benaissa, chercheur au Groupe sociétés, religions, laïcités du CNRS, refuse de faire des généralités mais admet que la loi peut être mal perçue."80 % de la population musulmane de France est issue du Maghreb et ne se sent donc pas concernée par les références symboliques de la burqa. Pour la plupart des musulmans en France, la burqa n'est pas une chose à laquelle ils sont acculturés. Mais elle a pu être ressentie comme une défiance supplémentaire vis-à-vis de l'islam". Et le chercheur de préciser,"mettre en avant le phénomène marginal de la burqa revient à ignorer la majorité silencieuse qui se sécularise".

A l'inverse, Philippe d'Iribarne, auteur de l'ouvrage L'Islam devant la démocratie (2013) et directeur de recherches au CNRS, estime que, même si cette loi ne concerne qu'une minorité de musulmans, elle n'en est pas pour autant stigmatisante et permet d'éviter qu'une frange intégriste, ne "prenne le contrôle de la population musulmane". Pour lui, les femmes qui portent le voile islamique intégral appartiennent à une mouvance dont l'objectif est d'imposer leur propre vision de l'islam. Cette loi, qu'il juge légitime, vise à les en empêcher.

DEUX VISIONS OPPOSÉES

A ce niveau, deux visions s'opposent. Faut-il créer des lois qui soulignent les différences entre les Français, ou au contraire insister sur l'intégration de la majorité des musulmans de France ?

La loi de 2011 n'est pas la première à avoir fait débat. Le voile islamique vient régulièrement s'inscrire à l'ordre du jour, comme en 2004 lorsque le texte qui encadre le port des signes religieux dans les établissements scolaires publics est entré en vigueur. Cette année, François Hollande a pris position en se prononçant en faveur d'une loi interdisant le port du voile islamique dans certaines entreprises privées, en réaction à l'affaire de la crèche Baby Loup, dont une employée s'était vu reprocher par son employeur de refuser d'ôter son voile. La Cour de cassation a finalement annulé le licenciement de Fatima Afif, qui constituait, "s'agissant d'une crèche privée", une "discrimination en raison des convictions religieuses", selon la plus haute juridiction française.

"Le traitement politique et médiatique de l'islam de ces dernières années crée, paradoxalement, les conditions favorables à ce qu'une partie des musulmans se différencient, et soient vus comme différents, alors même que le processus global est à l'indifférenciation", analyse Hicham Benaissa, qui constate que de plus en plus de lois visent spécifiquement la communauté musulmane.

Pourtant, ces lois ne font pas spécifiquement référence à l'islam, comme le relève Christophe Crépin, responsable communication de l'UNSA-Police. Dans le texte de 2011, il n'est en effet ni question de voile, ni de religion. Pour M. Crépin, l'argument de la stigmatisation ne tient donc pas.

Or, en pratique, ce sont bien les musulmans qui sont concernés. "En très forte majorité, c'est le voile islamique qui est la cause du contrôle", note Pierre-Henri Brandet, porte-parole du ministère de l'intérieur. La mission parlementaire de 2009, dirigée par le député André Gérin (PCF), était d'ailleurs chargée de réfléchir à la création d'une loi interdisant le port du voile intégral et non à une loi interdisant d'avoir le visage dissimulé dans l'espace public. Malgré l'absence de références religieuses, le texte est d'ailleurs communément appelé loi sur le voile ou loi sur la burqa.

UNE LOI DIFFICILE À APPLIQUER

Si les termes précis de la loi de 2011 prêtent à confusion, son application est également compliquée. "Comme on l'avait prédit, son application est un peu difficile", confirme Christophe Crépin, qui se rappelle avoir émis des"doutes importants", au moment de la consultation de son syndicat par le législateur, avant le vote de la loi par le Parlement. Frédérique Lagache, secrétaire général adjoint d'Alliance Police Nationale, confie : "Je ne vous cache pas que parfois, certains collègues évitent de l'appliquer".

En plus des quelques contrôles qui dégénèrent, la loi est complexe à mettre en œuvre, car elle amène à contrôler plusieurs fois la même femme. Certaines, comme Hind Ahmas à Aubervilliers ou Kenza Drider à Avignon, sont même connues pour se faire régulièrement contrôler, sans que cela les dissuade de porter le voile intégral. Depuis avril 2011, ni les associations musulmanes ni le ministère de l'intérieur n'ont constaté une baisse du nombre de femmes qui portent le voile intégral. Selon l'Observatoire de la laïcité, les 705 contrôles qui ont eu lieu entre avril 2011 et avril 2013 concernaient 423 femmes.

Pour M. Henniche de l'UAM93, la loi sur le voile comporte tout de même un aspect positif. En plus de l'interdiction du port du voile intégral dans les lieux publics, elle précise que les hommes qui forceraient une femme à le porter risquent la prison ferme et une amende de 30 000 d'euros. "On ne peut qu'encourager à sanctionner ceux qui font porter le voile de force", précise-t-il. "Malheureusement, et ça fragilise les défenseurs de cette loi, il n'y a eu aucune interpellation de cette nature à ce jour, à ma connaissance", poursuit-il.

Les femmes qui portent le voile intégral en France le font généralement de leur plein gré selon M. Henniche, et sont en majorité des converties. C'est notamment le cas de la femme dont le mari a été interpellé à Trappes, le week-end du 20 juillet.

UN PROBLÈME PLUS GLOBAL

Si M'hammed Henniche admet que la question de la loi de 2011 est"toujours d'actualité", il assure que la gestion du voile n'est pas le principal problème auquel ont affaire les associations musulmanes. "La majorité d'entre nous se dit 'pourvu qu'on passe à autre chose'", assure-t-il, citant le débat sur la viande halal, celui sur la hauteur des minarets, le droit de vote des étrangers aux élections municipales ou encore les prières de rue. Au fond, la question du voile cristallise une interrogation plus large qui englobe l'ensemble de ces problématiques.

"La question qui se pose est celle de la visibilité de l'islam", selon Hicham Benaissa du Groupe sociétés, religions, laïcités du CNRS. "Est-il possible de rendre visible une religion dont on dit qu'elle n'est pas liée à l'histoire nationale ?", se demande-t-il. "Ce qui serait reçu favorablement par une partie de la communauté musulmane, c'est un discours qui viendrait condamner tous les actes islamophobes, qui dirait que l'islam fait partie intégrante de la société".

Pour M. Henniche, en introduisant de nouvelles lois, les gouvernements successifs ne font que "changer les règles du jeu", et pointer les musulmans du doigt. "On respecte l'islam à la condition qu'il soit invisible, ce n'est pas ça la tolérance. La tolérance c'est accepter l'expression de la différence des autres", estime-t-il.

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