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lundi 4 novembre 2013

A Saint-Denis, la bataille des collèges ZEP pour la mixité sociale 04.11.2013 à 14:46 | LE MONDE Aurélie Collas



Au collège Iqbal-Masih àˆ la Plaine Saint-Denis, le 23 septembre 2013. CAMILLE MILLERAND POUR LE MONDE

Scolariser ses enfants dans le collège ZEP de son quartier ? Nathalie Debotte n'y a jamais songé. Elle habite pourtant à deux pas. Comme bon nombre de Parisiens en quête d'un logement moins cher, cette directrice photo d'un magazine s'est installée à la Plaine Saint-Denis – le quartier du Stade de France et des studios de télévision, aux portes nord de Paris. Elle a troqué, il y a huit ans, son 40 m2 du 18e arrondissement contre un 150 m2. Fréquenter la petite école du secteur ne lui a pas posé de problème. Pour le collège, c'était une autre histoire.

Premier problème : la « mauvaise réputation » du collège. « Je n'ai rien vu de mes propres yeux, mais a priori, il y aurait pas mal de violence », rapporte cette mère de famille de 46 ans. Seconde crainte, celle de voir sa fille de 12 ans, bonne élève, être « tirée vers le bas ». « Je préfère que mes enfants soient moyens dans un bon collège, plutôt qu'excellents dans un mauvais. » Pour son aînée, son choix s'est porté sur un collège privé parisien. Les petits frères de– 9 ans et 7 ans  suivront le même chemin.

Ces nouveaux habitants de la Plaine – Parisiens trentenaires ou quadragénaires, classes moyennes voire « bobos » –, le collège Iqbal-Masih ne les voit pas frapper à sa porte. Il a pourtant belle allure, ce bâtiment de brique et de verre. Achevé en 1998, la même année que le Stade de France, il est sorti de terre quand la Plaine n'était encore qu'une vaste friche industrielle. Depuis, l'immobilier neuf a explosé ; les Parisiens sont arrivés, qui côtoient aujourd'hui encore une extrême pauvreté. Mais la mixité sociale du quartier n'a pas pénétré l'établissement. « De 70 % à 75 % de mes élèves sont socialement en difficulté, estimait Didier Georges, le chef d'établissement, à la rentrée. Les petits Parisiens, je les vois le matin sur le quai du RER en direction de Paris. Iqbal-Masih, c'est encore le collège qu'on évite. »

Sortir le collège de la ségrégation sociale dans laquelle il est enfermé : c'est le combat qu'a mené M. Georges ces dernières années. Ce sera aussi l'un des thèmes abordés lors des assises de l'éducation prioritaire, que le ministère de l'éducation nationale organise du 4 novembre au 4 décembre, et qui déboucheront sur une réforme annoncée en janvier.

UN TRIMESTRIEL À 2000 EXEMPLAIRES

Pour rendre son établissement plus attractif, pour changer son image –encore trop assimilée aux voitures brûlées et aux bagarres–, Didier Georges a misé, lui, sur une« offre d'excellence » : latin, grec, anglais renforcé, dispositif bilangue anglais-allemand, mais aussi classes théâtre et classes sport. Sans oublier la 3e « médias », qui publie un trimestriel tiré à 2 000 exemplaires. Dans certaines de ses spécialités, l'excellence est bien là : « L'an dernier, notre équipe de rugby féminin a remporté la 6e place au championnat de France, et l'équipe de foot masculin la 3e. On a aussi gagné le prix des journaux académiques », rapporte avec fierté le chef d'établissement.

Il en est convaincu : les options peuvent avoir un impact face à la concurrence du privé et à l'attrait de Paris. A condition d'en faire la publicité, d'être en prise avec le quartier. A condition, aussi, de ne pas recréer une ségrégation à l'intérieur du collège. A Iqbal-Masih – n'en déplaise aux parents–, pas de classes d'élite : les élèves qui suivent des options et les autres sont mélangés. « Le principe, c'est "pas de classe sans tête de classe", souligne Didier Georges. Dans chaque division, on essaie d'avoir au moins un tiers de bons élèves. »

>> Lire aussi l'entretien avec le chercheur François Baluteau : « Les collèges tendent à se spécialiser, ce qui renforce la ségrégation sociale »

La politique d'excellence en éducation prioritaire a une dizaine d'années. Elle repose sur le constat que trop souvent, les établissements défavorisés ne proposent que des options pour les élèves en difficulté ou en rejet de l'école, telles que les classes relais, les sections adaptées, les 3e de « découverte professionnelle ». Et qu'il faut miser sur des options qui attirent aussi les bons –– sections linguistiques, culturelles, sportives…. Or, dans un système où les déterminismes sociaux jouent à plein, ségrégation scolaire rime avec ségrégation sociale. Les bons élèves, dont les parents connaissent généralement bien les rouages de l'école, sont plus souvent issus de milieux favorisés. Inversement, les enfants originaires de catégories défavorisées ont plus de risques d'échouer. Cela se résume en un chiffre : près de 100 % des enfants de cadres supérieurs ou d'enseignants obtiennent le baccalauréat, contre seulement 40 % des fils ou filles d'ouvriers non qualifiés.

"NUMÉRO DE CLAQUETTES"

Pour rétablir l'égalité des chances, il n'y a pas d'autres moyens que de brasser les élèves, au sein des collèges, jusque dans les classes. « Au contact des élèves en réussite, ceux en difficulté observent et s'approprient des rituels de travail. Les premiers, en aidant leurs camarades, en transmettant leur savoir, sont également tirés vers le haut », assure François-Sébastien Demorgon, l'ancien principal du collège Garcia-Lorca, proche de la Plaine Saint-Denis (qui a rejoint, depuis la rentrée, l'inspection d'académie de Seine-Saint-Denis).« C'est tout le pari du collège unique ! »

Dans ce collège situé au cœur de la cité très pauvre des Francs-Moisins, enclavé entre l'autoroute et des usines, le défi de la mixité est de taille. Ici, près de 80 % des élèves sont issus de milieu social défavorisé. Pour éviter la fuite des premiers de classe de CM2 vers les collèges du centre-ville ou vers le privé, M. Demorgon faisait, chaque année, son « numéro de claquettes » dans les écoles pour parler aux familles de ses enseignements : option sciences, parcours bilangues anglais-allemand et anglais-arabe, 3e arts du cirque… « J'expliquais aux parents que si leur enfant était un bon élève, chez nous, il resterait bon. Qu'on allait développer son potentiel ; qu'on était en mesure de lui apporter plus que les enseignements obligatoires »,rapporte-t-il.

Garcia-Lorca est parvenu, en deux ans, à diminuer de moitié l'évitement du collège. Pour M. Demorgon, « l'image de l'établissement, qui dépend en partie des pôles d'excellence, a dû jouer ». Iqbal-Masih, lui aussi, semble avoir gagné en attractivité. En trois ans, le collège a enregistré une baisse de 5 % d'élèves issus de couches sociales défavorisées. Une amorce de mixité qui reste fragile. Les chefs d'établissement le savent bien : à la moindre bagarre, à la moindre descente de police, tout peut basculer. Car la première préoccupation des familles reste la sécurité, bien avant le taux de réussite au brevet.

« Ici, les gens évitent Iqbal-Masih sans même s'être renseigné, car ils disent qu'il y a trop de "racailles" »,soupire Florence Dupont, une habitante de la Plaine, qui travaille dans l'événementiel culturel. Elle se dit « démoralisée » de savoir que sa fille, en CM1 cette année, sera probablement l'un des seuls élèves de son école à fréquenter les bancs du collège Iqbal-Masih. « II y a quelques années, raconte-t-elle,dans une ville de Seine-Saint-Denis, un groupe de parents, du profil classes moyennes supérieures, s'est mis d'accord pour mettre leurs enfants dans le collège public de leur secteur. Tout s'est bien passé et les enfants y ont fait toute leur scolarité. » Florence Dupont rêve de fédérer un tel mouvement.


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