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jeudi 5 février 2015

François Hollande estime inutiles les statistiques ethniques Par Maryline Baumard, Le Monde le 5 février 2015

Alors que Manuel Valls a relancé le terme d'« apartheid », le chef de l'Etat juge inopportun de rouvrir le dossier des statistiques ethniques pour lutter plus efficacement contre les discriminations.

French President Francois Hollande answers questions during a press conference, on February 5, 2015 at the Elysee palace in Paris.  AFP PHOTO / POOL / PHILIPPE WOJAZER

French President Francois Hollande answers questions during a press conference, on February 5, 2015 at the Elysee palace in Paris. AFP PHOTO / POOL / PHILIPPE WOJAZER | PHILIPPE WOJAZER / AFP

Deux phrases du chef de l'Etat suffiront-elles à refermer vingt ans de débat ? Jeudi 5 février, lors de la 5e conférence de presse de son mandat, François Hollande a rejeté l'idée de « statistiques ethniques », jugeant que ce débat « n'apporterait rien »« La France aime bien les débats qui ne servent à rien », a-t-il ajouté. Nous pouvons regarder ce qui se passe par rapport à des lieux de vie. Pas besoin de faire statistiques ethniques. Regardez où vivent un certain nombre de nos compatriotes et vous verrez les problèmes de chômage, de scolarité, de réussite, voire même la capacité à créer une entreprise. »

Ce sujet revient pourtant en boomerang dans le débat politique après l'emploi du terme « apartheid » par le premier ministre, Manuel Valls, le 20 janvier. S'il existe une discrimination de fait, le débat sur la nature des outils statistiques à la disposition des politiques redevient légitime ; et si l'on veut lutter contre, plus encore. « Cela veut dire en préalable une chose : accepter l'idée des statistiques ethniques », rappelait le 28 janvier le député (UMP, Marne) Benoist Apparu. « Si vous voulez faire une politique de peuplement, vous êtes obligés d'avoir une base scientifique (…). Le débat mérite d'être ouvert, d'être posé. »

Lire aussi : Manuel Valls, l'apartheid et les banlieues

C'est aussi ce qu'estime la sénatrice Esther Benbassa (EELV, Val-de-Marne), coauteur avec Jean-René Lecerf (UMP, Nord), d'un rapport d'information qui plaide pour l'autorisation de statistiques ethniques en France. « L'attitude du chef de l'Etat se comprend facilement. En refermant ce dossier, il évite de faire accepter aux élites de ce pays l'idée qu'elles doivent partager les postes. L'utilisation des statistiques ethniques n'a pas tout résolu aux Etats-Unis, je le concède. Mais cela a quand même permis de dégager une élite noire !, insiste la sénatrice. Chez nous, on en est loin ! Arrêtons de nous voiler la faceet donnons-nous les outils les plus efficaces pour pouvoir lutter contre de façon ciblée. »

Origines géographiques

En France, les statistiques ethniques sont interdites par la loi du 6 janvier 1978. Le texte précise qu'« il est interdit de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les options philosophiques, politiques ou religieuses, ou l'appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci ».

Des exceptions existent pourtant, autorisées par la Commission nationale informatique et liberté. L'Insee et l'Institut national d'études démographiques (INED) ont obtenu de tenir compte des origines géographiques dans leur grande étude réalisée en 2009 Trajectoires et origine géographique (TeO). D'autres études aussi bénéficient de dérogations à ce principe, de façon plus ponctuelle, mais parfois, particulièrement efficace. Ainsi, en 2008, l'enquête de Fabien Jobard et René Lévy du CNRS qui avait montré la réalité des contrôles au faciès, a permis de transformer en vérité scientifique ce qui restait pour certain de l'ordre du… fantasme.

Au départ, le débat entre partisans et opposants aux statistiques ethniques – commencé au siècle dernier – oppose deux écoles. Hervé Le Bras de l'Ehess incarne le camp des adversaires, avec face à lui, la démographe Michèle Tribalat de l'INED. Nous sommes en 1998.

Le sujet rebondit en 2007. Nicolas Sarkozy, qui veut une discrimination positive « à la française », nomme Yazid Sabeg commissaire à la diversité et à l'égalité des chances. Ce dernier met en place un comité pour la mesure et l'évaluation de la diversité et des discriminations.

« Risque d'une société "racisée" »

Rapidement, le débat se focalise sur ce sujet des statistiques ethniques. Face à ce comité, à la tête duquel se trouve le démographe François Héran, directeur de l'Institut national des études démographiques, se crée un contre-comité de 22 chercheurs qui publient alors Le Retour de la raceCette bataille frontale doublée de la tentative avortée de Brice Hortefeux, alors ministre de l'intérieur, de mettre en place Edvige, un fichier de police consignant notamment la couleur de peau, tue le débat en illustrant les risques d'un fichage ethnique.

LA FRANCE EST AINSI FAITE QU'ON PEUT Y ÊTRE VICTIME D'UNE DISCRIMINATION LIÉE À SON ORIGINE MAIS QUE CELLE-CI NE PEUT PAS ÊTRE MESURÉE

Dans son rapport remis en 2010, François Héran reste donc très nuancé. Il constate que les enquêtes anonymes sur le pays de naissance menées par l'Insee, l'intégration du « ressenti d'appartenance » et l'usage autorisé des patronymes, suffisent. Et il est vrai que dans les pratiques, des choses sont possibles. Ainsi, l'enquête TeO appréhende dans quelle mesure les origines migratoires modifient les chances d'accès aux places les plus en vue dans la société. Mais elle n'a pas le droit de s'intéresser à la couleur de peau des 21 000 personnes interrogées.

La France est ainsi faite qu'on peut y être victime d'une discrimination liée à son origine mais que celle-ci ne peut pas être mesurée. Pour le MRAP, « il y aurait le risque d' une société "racisée" ». Si on se relance dans ce débat aujourd'hui, a prévenu le chef de l'Etat le 5 février, alors « il y aura les pour, les contre, ceux qui diront : c'est de la discrimination puisqu'on va mettre des personnes sur des listes, qui auront des droits que les autres n'auront pas ».

Mais si ce débat ressurgissait, nul doute qu'il serait aussi passionné qu'hier. Pourtant, il y a aujourd'hui des éléments supplémentaires. « Vous avez aujourd'hui des quartiers avec 100 % de logement social (…), ce qui favorise la constitution de ghettos et dans le 16earrondissement de Paris, quand vous avez 100 % de blancs CSP +, ce n'est pas non plus ça la mixité. Ca doit marcher dans les deux sens », dit M. Apparu.


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