lundi 5 avril 2010

Lettre d'un arabo-berbère de France (non délinquant) à Eric Zemmour

Monsieur Zemmour,

Je viens de prendre connaissance de la lettre que vous avez adressée au président de la LICRA et vous remercie d’avoir exprimé des regrets pour les propos que vous avez tenus le 6 mars 2010 sur le plateau de Thierry Ardisson. Ces propos étaient en effet blessants même si, je vous l’accorde, vous n’avez pas tort sur le fond.

Car en effet, comme on dit au Maghreb : « on ne peut pas voiler le soleil avec un tamis ». Vous n’avez en réalité fait que dire tout haut ce que nous pensons tous tout bas. Pour dire vrai, j’aurais même préféré que nous soyons les premiers à briser le silence et à reconnaitre en tous lieux notre contribution soutenue a la délinquance nationale, non seulement parmi les trafiquants de drogue mais également parmi les bandes de casseurs, les voleurs de scooters et de bicyclettes, les resquilleurs de métro, etc. Car il est grand temps de lever ce voile de silence et de honte qui, en occultant les symptômes, empêche de traiter convenablement le mal. Notre réputation est établie et cause déjà suffisamment de torts à la grande majorité de franco-africains, honnête et travailleuse, qui est à la fois victime de la délinquance de nos enfants et de la dégradation d’image que celle-ci engendre.

Mais reconnaitre l’évidence, n’apporte pas automatiquement le remède. Encore faut-il essayer de bien identifier les causes du mal. Nous sommes donc nombreux a tenter de comprendre ce qui pourrait expliquer le contraste entre la génération de nos pères, qui se levait tôt, travaillait dur et rasait les murs et celle des enfants, nés en France et si portés sur les incivilités.

Bien sûr, nous avons notre petite idée sur la question et contrairement à ce que vous prétendez, nous pensons que les discriminations sont un vrai problème. Quand on fait confiance à la République, qu’on investit toute son énergie et ses moyens dans l’acquisition d’un diplôme, pour se voir refuser systématiquement un emploi parce qu’on ne porte pas le bon patronyme, croyez-nous, il y a là un gros problème. Sur ce point, puisque vous êtes friands de statistiques ethniques, je vous renvoie simplement aux testings de l’Observatoire des discriminations, qui sont éloquents et parlent pour eux-mêmes.

Comment ne pas reconnaitre que ces horizons bouchés, ces rêves brisés, cette relégation permanente, ne soit pas source de violence et d’incivilités. Je partage avec vous l’idéal républicain, mais force est de reconnaitre, que dans la France de l’Assemblée nationale et des conseils d’administration monocolores, nous en sommes encore loin et que ceci pourrait expliquer cela.
Mais les discriminations, pour réelles qu’elles sont, n’expliquent certainement pas tout. Les Algériens sont apparemment plus turbulents et il se trouve qu’ils ont été particulièrement affectés par 132 ans de colonisation et par une horrible guerre de libération. Dur dans ces conditions de se sentir Français à part entière en l’espace de quelques générations. D’autant que le sentiment anti-algérien perdure comme l’ont montré les récentes affiches de Le Pen en PACA.
Souvent perçus comme des prolongements de sujets coloniaux, limités dans l’accès a la consommation, dans une société qui valorise avant tout l’avoir, et privés de perspectives d’avenir, certains de nos jeunes sombrent dans la haine et la violence, tout en rejetant leur pays d’accueil.

Découragés par les discriminations, ils vont également investir les rares espaces économiques qui leur sont plus facilement accessibles : commerce de drogue pour une minorité (un peu comme les Italiens et Irlandais, autres derniers arrivants, au moment de la prohibition), entreprises de sécurité pour d’autres (apparemment, il y a pas comme un arabe ou un noir pour repérer un pickpocket) et pour le plus grand nombre, emplois trop durs et trop mal payés pour les français d’origine européenne (je vous conseille de faire un tour a la Gare du Nord à 5 heures du matin ou vous pourrez vous rendre compte que la couleur dominante n’est pas celle de notre représentation nationale).

Je vous remercie donc, Monsieur Zemmour, de nous aider, en pointant des vérités, à faire avancer les choses. Car rien ne se construit sur du sable comme le prouvent les milliards engloutis depuis des décennies dans les politiques stériles dites « de la ville » qui faute de diagnostic sincère et objectif sur les maux de la banlieue ne peuvent déboucher sur les bonnes solutions. Pour autant, nous devons prendre garde à ce que le parler vrai ne conduise à attiser la haine raciale ou les tensions communautaires et serve de faire valoir a ceux dont les desseins sont de monter les uns contres les autres ou de racoler l’électorat d’extrême droite.

Le parler vrai doit avant tout nous permettre d’engager sur des bases solides un dialogue national dont les finalités seront de définir ensemble les termes d’un contrat social post-colonial dont les préalables seraient :
- La reconnaissance des dommages et préjudices coloniaux et post-coloniaux infligés par la France aux habitants des ex-colonies. L’entreprise coloniale était principalement une entreprise économique qui a laminé les cultures locales et infligé d’énormes souffrances aux indigènes en bafouant au passage les principes républicains
- Reconnaissance des apports positifs de la colonisation : quelques efforts sur la santé et l’éducation, la langue française (butin de guerre selon Kateb Yacine) et surtout la récupération par les Etats indépendants d’infrastructures qui servaient exclusivement l’entreprise coloniale

- La reconnaissance des dommages causés par les discriminations liées a l’origine : des millions de CV jetés a la poubelle sans être examinés, tout simplement, parce que émanant de candidats noirs ou arabes. Un énorme gâchis humain et économique.
- La reconnaissance de la chance pour les populations immigrées originaires de pays en développement de pouvoir vivre en France et en République : accès a des systèmes de santé et d’éducation de qualité, couverture sociale, Etat de droit, laïcité, etc.
- Engagement à respecter les règles françaises du vivre-ensemble, les mœurs et coutumes françaises et les valeurs du pays d’accueil. Les pratiques religieuses doivent également être compatibles avec ces valeurs. En retour, la liberté de culte doit être garantie et respectée en accord avec le principe de laïcité.

Monsieur Zemmour, notre véritable chantier ne doit pas être de fractionner et de communautariser la France. Il doit être de travailler à l’avènement d’une France dans laquelle tous les Français se reconnaitront, totalement fidèle aux principes républicains et apurée du passif colonial et post-colonial. Une France riche de sa culture millénaire et des apports de tous ses nouveaux enfants, d’Afrique et d’ailleurs. Une France tournée vers l’avenir qui au lieu de douter d’elle-même pourra continuer à montrer la voie, dans un monde globalisé, privé de repères et en quête de valeurs fondatrices.

Rachid Deneg, le 30 mars 2010
r.deneg@gmail.com

1 commentaire:

  1. Tout à fait d'accord avec votre analyse. Toutefois il ne faudrait pas faire l'impasse sur la situation économique en France et dans la plupart des pays de la CEE : pour la France 2,7 millions de chômeurs, 3,8 millions de travailleurs très précaires, les emplois dans le secteur public (environ 5 millions) réduits drastiquement sur une population active totale de 20 millions (secteur privé et public). Tout ceci causé par une désindustrialisation et délocalisation de la production (et actuellement des services) dans qlqs zones du globe ou la main d'œuvre ne coûtent rien. Tout cela a laminé le travail des classes populaires et atteint actuellement les classes moyennes. Voila pourquoi principalement les enfants d’immigrés (en plus des discriminations) ne peuvent pas se lever aussi tôp que leur pères (et mères…) pour aller au travail !!!! Appartenant aux classes populaires ou moyennes ils sont sacrifiés sur l’autel du libre échange, du libéralisme sauvage…C’est facile ensuite pour les élites (et certains politiques et journaleux nauséabonds) de s’indigner sur le non respect des valeurs républicaines de la France (auxquelles je tiens plus que tout).
    Est-ce républicain de condamner toute une frange de la population (de plus en plus importante) à la précarité et aux œuvres sociales (qui vont bientôt se tarir….faute de personnes qui travaillent, qui peuvent donc payer des impôts et cotiser…) ??? Il faut croire que oui puisqu’aucune voix (et surtout pas celles de nos chers élites) ne dénonce l’économie de bazar qui sévit et qui se traduit par une spécialisation des tâches à l’échelle de la planète : une zone pour produire et une autre pour consommer à coups de crédits « révolvers »
    Malika Chetounane (employée landa).

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