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mardi 3 avril 2012

Le Monde« Il faut se décomplexer du fait d'être musulman » 03.04.12 | 19:22 | Blog : La Courneuve, Urbains sensibles

Chaque matin, Mamadou, 28 ans, se réveille à 6 heures avec la radio RMC. Il y a quelques jours, la toute première phrase qu'il a entendue en se levant disait "un nombre croissant de Français ont peur de l'Islam". "La journée commençait bien !" ironise-t-il. L'anecdote fait sourire les quatre autres bénévoles de l'association "Jeunes musulmans de France" (JMF), réunis ce soir-là dans le local mis à leur disposition par la mairie au pied d'un immeuble de la cité des 4000 nord, où ils font de l'accompagnement scolaire. On comprend que ce n'est ni la première, ni la dernière fois, qu'ils entendent ce type d'informations et qu'ils sont un peu las.

"C'est reparti pour un tour de grand roue" avait pensé un peu fataliste Seyfeddine, étudiant ingénieur de 24 ans, le jour où les médias ont annoncé que le tueur présumé de sept personnes, dont trois enfants, à Toulouse et Montauban était musulman et revendiquait son crime au nom de l'Islam. Faut-il le redire, encore ? Se justifier pour le massacre commis par un inconnu à l'autre bout de la France. Mamadou s'y colle : "En aucun cas c'est islamique d'attraper et de tuer des enfants, ni personne d'autre. Le Coran sacralise la vie humaine". Wassila, 22 ans, étudiante en marketing en alternance, tenue élégante et grandes lunettes Dior, renchérit : "Ça m'a choquée et émue en tant que citoyenne, pas en tant que musulmane : ma religion n'a rien à voir avec ça !"

De g. à dr. de haut en bas : Seyfeddine, président de l'association, Wassila, secrétaire, Najah, trésorière, Mamadou, responsable de la communication. © E.R

"Moi je me sens concerné, tranche Seyfeddine, regard sérieux, voix posée, qui est aussi président de l'association. C'est un jeune de banlieue comme nous. En tant qu'acteur associatif, ça me parle. Je me dis que peut-être il y a un petit Mohamed Merah dans mon groupe d'accompagnement scolaire. Donc la question pour moi, c'est : qu'est-ce-que je mets en place aujourd'hui pour qu'aucun des enfants que j'encadre n'en arrive là ? Il faut réfléchir aux causes et tout faire pour qu'aucun de ces jeunes ne se replie sur lui-même".

Créée dans les années 90 par l'UOIF, les "Jeunes musulmans de France" ont depuis pris leur indépendance, s'éloignant du "cultuel" pour se rapprocher du "culturel" en devenant une association loi 1901. Celle de La Courneuve, l'une des neuf sections locales de "JMF" en France, a vu le jour en 2006 et compte aujourd'hui 180 adhérents dont 70 membres actifs. "Notre projet est éducatif, culturel et social, tourné vers les jeunes, pour les responsabiliser" explique Mamadou. Le slogan de l'association affiché sur la porte d'entrée et sur tous les dépliants dit : "Celui qui ne veut rien faire cherche des excuses, celui qui veut avancer trouve des moyens".

Les lundi, mardi et jeudi, ils accueillent une trentaine d'enfants et d'adolescents après l'école, le collège ou le lycée pour les aider notamment à faire leurs devoirs ou réviser leur bac. En plus de l'accompagnement scolaire, les JMF organisent des repas de solidarité et des forums pour mettre en contact des jeunes courneuviens en recherche d'emploi avec d'autres qui ont réussi : "L'idée est de leur montrer que tu peux t'appeler Mohammed et devenir avocat. Tu es toi-même arabe, tu as un autre arabe en face de toi, ça évite aussi la victimisation" explique Mamadou. "L'accueil à l'association est-il réservé aux musulmans ?" demande-t-on. "Pas du tout" affirment-ils en coeur. La charte de l'association précise bien que "JMF accueille et accompagne tous les jeunes sans distinction d'origine, de sexe ou de religion". "Notre action est laïque précise Seyfeddine, tournée vers tout le monde."

"Pourquoi, alors, conserver la précision 'musulman'?" poursuit-on. "On ne fait pas du prosélytisme. Mais l'action que l'on mène ici est une façon de concrétiser les valeurs portées par notre religion : la force de s'engager, la solidarité, le respect, la fraternité" explique Seyfeddine. "Cette association, c'est ma façon à moi de vivre concrètement ma religion, de la mettre en pratique" renchérit Wassila, avant d'ajouter : "et puis je trouve qu'il faut se décomplexer du fait d'être musulman. Pourquoi on ne pourrait pas l'afficher simplement ?"

Dans le local prêté par la mairie, où l'association JMF dispense du soutien scolaire. © E.R

"C'est une façon de banaliser le fait musulman en France, continue Seyfeddine. Contrairement aux caricatures qu'on en fait ici et là, notre religion nous demande de nous ouvrir vers les autres, pas de vivre en autarcie". Lui voit aussi son association comme un sas entre deux mondes qui ont parfois du mal à communiquer. "Nous sommes aussi là justement pour créer un lien, une ouverture, dans les deux sens, poursuit-il. D'un côté, on sait qu'il y a une jeunesse musulmane qui a l'impression de ne pas appartenir à la société française, qui pourrait avoir envie de s'en exclure. De l'autre, on sait qu'une partie de la société rejette tout ce qui concerne l'Islam. Nous, nous nous engageons, nous agissons dans la société". "Une façon de montrer que de jeunes musulmans font des choses positives ?" interprète-t-on maladroitement. Seyfeddine répond posément : "Non. On ne se justifie de rien. On ne se sent coupable de rien, on n'a rien à prouver. Nous sommes des citoyens français et pour nous il n'y a aucune raison pour que le "M" et le "F" des jeunes musulmans de France, ne puissent pas cohabiter".

Cet hiver, avec d'autres associations musulmanes, ils ont initié le projet "Bougez, votez !"avec plusieurs organisations musulmanes, clip à l'appui. "On sait bien que ça ne va pas tout solutionner, mais on dit aux jeunes : 'vous vivez dans cette société, vous en êtes citoyens, il faut prendre vos responsabilités'. On ne peut pas se contenter de dire 'la politique c'est pas pour moi",avance Seyfeddine.

Dans ce cadre, ils ont également lancé un "appel pour une initiative citoyenne des musulmans de France" dont les signataires (4136 pesonnes à ce jour) "souhaitent affirmer leur volonté de participer à l'avenir de la France." Le texte invite notamment les candidats à l'élection présidentielle, "à être, en ces temps difficiles, des facteurs d'unité entre les citoyens, dans le respect inconditionnel de leurs origines, de leurs opinions ou de leurs convictions religieuses.  Nous leur demandons de prendre position, de la manière la plus ferme, contre tout discours, toute idée ou tout slogan qui viserait à monter les Français les uns contre les autres, en faisant notamment de l'Islam et des musulmans les boucs émissaires des maux que connaît notre société." C'était début février. Avant les propos sur"les civilisations qui ne se valent pas", la polémique sur la viande halal, et les fusillades de Toulouse et de Montauban. Quand le nom de Mohamed Merah n'évoquait rien à personne.

A.L





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