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dimanche 22 avril 2012

Vote FN, vote "ras-le-bol" 23.04.12 | 04:46 | Blog : Saint-Pierre-des-Corps, les épines fortes


Lorsque le chiffre du score de Marine Le Pen est apparu sur l'écran de télévision du salon, peu après 20 heures, lui n'a pu retenir un "merde !" de dépit tandis qu'elle s'est contentée d'une moue qui disait : "Vous voyez, je vous l'avais bien dit." Un moment de flottement a plané dans l'appartement de la Rabaterie, le quartier populaire de Saint-Pierre-des-Corps, où ce couple remarié vit depuis une quinzaine d'années.

Pascal et Isabelle-Muriel devant les réŽsultats du permier tour.©Helene Jayet

Habituellement, Pascal et Isabelle-Muriel Loulier votent d'"une même voix" à chaque élection, c'est-à-dire à gauche où leur coeur a toujours balancé. Ce dimanche, lui avait décidé de donner son bulletin à Eva Joly, autant par respect pour cette "femme de caractère" que par sensibilité pour la cause écologique. Longtemps, Pascal a cru que sa femme ferait comme lui, avant de se rendre à l'évidence que celle-ci avait finalement décidé de voter pour le Front national. C'est ensemble qu'ils se sont rendus au bureau de vote de l'école Henri-Wallon, dimanche. Ils y retourneront dans quinze jours et glisseront, cette fois, un seul et même nom dans l'urne : celui de François Hollande.

Plusieurs fois dans la soirée, Isabelle-Muriel répétera qu'elle est bien "de gauche", qu'elle n'est "pas raciste" et que sa décision n'a été motivée que par un seul leitmotiv : "le ras-le-bol". Un sentiment diffus, complexe, dont les racines sont à trouver autant dans les incivilités qui sont monnaie courante dans leur quartier que dans leurs difficultés à joindre les deux bouts.

Peintre en bâtiment ayant fait le choix de l'intérim, Pascal, 55 ans, est au chômage depuis octobre et perçoit un peu moins de 1.000 euros par mois d'Assedic. Ancienne chef de rayon en supermarché, Isabelle-Muriel travaille six heures par semaine dans un pressing de Tours : trente chemises à repasser par heure, pour 115 euros par mois. "Au prix où est l'essence, il n'est pas envisageable d'utiliser la voiture, explique-t-elle. Je prends le bus, mais à 1,35 euros le ticket, imaginez ce qu'il me reste avec un taux horaire de 9,30 euros bruts."

Le système D est le quotidien des Loulier. A Carrefour, "trop cher" pour eux, ils préfèrent depuis longtemps le magasin discount Netto, ainsi qu'un maraîcher des environs vendant ses légumes en direct. Ancien cuisinier, Pascal prépare des plats dont le secret est de pouvoir être recyclés astucieusement tout au long de la semaine. L'homme fait également "la guerre à l'eau chaude et à l'électricité" à la maison. La dernière fois que ce couple avec enfant (un garçon de 14 ans) est parti en vacances, c'était il y a trois ans : "Une semaine en Bretagne". Sensible autrefois aux idées anarchistes, Pascal verse facilement dans l'allégorie : "On est des serfs des temps modernes. Jamais le slogan de la République Liberté, Egalité, Fraternité n'a été appliqué dans ce pays. Si ça ne tenait qu'à moi, je les emmènerais tous à la guillotine." Converti au bouddhisme dans les années 80, l'électeur n'a toutefois jamais trahi sa famille d'origine, la gauche au sens large.

©Helene Jayet

Ce qui a fait basculer Isabelle-Muriel en faveur de l'extrême-droite relève de l'histoire familiale. Il y a quelques années, son fils (né d'un premier mariage) a vu sa femme le quitter et s'est retrouvé avec "deux enfants sur les bras". Isabelle-Muriel Loulier raconte avoir demandé de l'aide à la mairie, mais que celle-ci n'a "rien fait". Difficultés aidant, le fils a été contraint de confier ses enfants à une famille d'accueil. A Saint-Pierre-des-Corps, où la population est l'une des plus modestes de l'agglomération, réclamer une assistance auprès des services municipaux est une pratique tellement courante que les services en question ne savent plus où donner de la tête. "Cela fait pourtant des années qu'on vit ici, nous, n'en décolère pas Isabelle-Muriel. Quand il s'agit de défendre des familles d'expulsés, en revanche, le maire fait ce qu'il faut..."

A cela s'est ajouté le ras-le-bol face un certain nombre d'incivilités endurées au quotidien dans cette cité populaire ayant mauvaise réputation : les vols de vélo dans un local commun à leur immeuble et pourtant cadenassé, les voitures esquintées dans la rue, les mots déplacés de préadolescents crevant d'ennui au pied des HLM... Et enfin le refus de la mairie encore elle - de lui prêter une salle pour fêter les 80 ans de sa mère : "Quand ce sont les fêtes du Ramadan, ils l'ont, eux, la salle. C'est de l'injustice." Le maire de Saint-Pierre-des-Corps (Marie-France Beaufils) étant membre du Parti communiste, Isabelle-Muriel Loulier s'est dit que le meilleur moyen de montrer son mécontentement était de voter à l'opposé, c'est-à-dire pour le FN.

Dimanche, Pascal n'a pu s'empêcher de faire la leçon à sa femme :

-Tu ne mesures pas les conséquences de ton vote au niveau national. Il aurait mieux fallu que tu t'exprimes ainsi pour les élections cantonales ou municipales. En votant pour le Front national, on tombe vite dans l'amalgame, tu sais. L'extrême-droite, ce sont des xénophobes, des racistes, ils mettent tout sur le dos des étrangers. Tu ne rends pas compte de la portée de ton vote. C'est vrai qu'elle est gentille et qu'elle porte bien, Marine Le Pen. Son père, tu l'aurais mis à la tête d'un grand parti de droite ou de gauche, il aurait fait un carton. Ces gens-là, ce sont d'abord des orateurs.

Isabelle-Muriel s'est défendue :

-Mon but était aussi de faire en sorte qu'il y ait un duel entre Hollande et Le Pen au deuxième tour afin de voir Hollande l'emporter. Et puis Marine a des propositions intéressantes, aussi. Moi qui travaille dans le commerce, j'ai entendu beaucoup de gens dire du bien d'elle ces derniers temps. Ce que j'ai voulu exprimer, c'est mon mécontentement, mon ras-le-bol. C'est la première fois que je fais cela et sans doute la dernière fois, mais là, j'avais vraiment trop la rage.

Son mari l'a excusée : "Je ne lui en veux pas car je sais qu'elle a du coeur". Avant de conclure : "Faut voir la vie qu'on a."

 

 

B

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