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samedi 29 septembre 2012

" Il y a une ethnicisation des rapports sociaux en France "


Jean-Luc Primon, sociologue à l'université de Nice




Jean-Luc Primon, sociologue à l'université de Nice et chercheur à l'unité de recherches Migrations et société (Urmis), participe à l'enquête TEO, première base de données de l'Institut national des études démographiques (INED) sur les origines.


Votre enquête a-t-elle révélé l'existence d'un " racisme anti-Blancs " ? 

YJe ne parlerais pas de racisme anti-Blancs. Mais nous avons dans nos réponses une fraction (un peu plus d'un sur dix) de personnes classées dans la population dite majoritaire - qui ne sont ni immigrées, ni issues de l'immigration, ni originaires des DOM-TOM - et qui déclarent avoir vécu une expérience de racisme. Mais on a du mal à cerner le phénomène car notre enquête ne fait pas de distinction, à l'intérieur de cette population majoritaire, qui permette de repérer les minorités racisées, comme les personnes de confession juive ou musulmane, les descendants de troisième génération d'immigrés ou les Tziganes.



De quelle manière se manifeste ce racisme ? 

Il s'agit généralement d'expériences limitées, et qui ont lieu souvent dans l'espace public. Ce qu'ils relatent, ce sont souvent une altercation entre automobilistes ou une bousculade dans la rue avec des quolibets ou des injures, des blessures verbales renvoyant ces personnes à leurs origines. Cela se passe rarement à l'école ou sur le lieu de travail.



Qui sont ces " Français blancs " déclarant en être les victimes ? 

Quand on regarde les milieux de vie, on voit qu'il y a une fraction qui vit dans les quartiers populaires, dans des conditions socialement défavorisées : on sent qu'il y a des conflits de voisinage, dans des logements où on ne vit pas bien, des relations de quartiers pas simples, dans un contexte de concurrence dans la pauvreté.

On a une autre partie, plus nombreuse, qui vit dans des conditions confortables, loin des banlieues, et qui dit avoir été victime du racisme sans que l'on comprenne la forme que cela prend. Il est possible qu'il y ait une part d'imaginaire. Nous pensons aussi que certains, traités eux-mêmes de racistes, interprètent cette accusation comme une manifestation de racisme. Quand on travaille à un guichet et qu'on fait une remarque à quelqu'un qui s'impatiente, qu'on est alors accusé d'être raciste, on peut le vivre comme une agression raciste.



Qu'est-ce que vous inspire la résurgence de l'expression " racisme anti-Blancs " ? 

Ce n'est pas nouveau. Il y a une ethnicisation des rapports sociaux en France. On ne peut pas nier que les relations sociales sont souvent perçues à travers les origines des uns et des autres, et qu'on s'envoie des injures raciales. Parce que le fait raciste en France existe, et qu'on a un vrai problème de discrimination et de ségrégation, qui rejaillit de manière globale sur les rapports sociaux mais aussi sur les relations interpersonnelles. Il faut se préoccuper plus du racisme en France, se donner les moyens d'en mesurer l'ampleur.



Il n'y a pas assez de données pour l'évaluer ? 

Nous manquons cruellement de données en dehors des plaintes ou de ce qui remonte des mouvements antiracistes. Mais ce racisme diffus, on a peu de moyens pour le mesurer car il n'y aucune enquête. La seule étude existante est un sondage de la CNCDH- Commission nationale consultative des droits de l'homme - fait auprès des Français, à qui l'on demande s'ils se considèrent ou non comme racistes. Il faut mettre en place un dispositif d'observation plus poussé qui permette de mesurer tous les comportements hostiles, y compris ceux vécus par la population majoritaire.

Mais je tiens à rappeler que ceux qui vivent le racisme de manière récurrente sont d'abord les personnes d'origine étrangère et les minorités racisées. Notre enquête a montré la prégnance de ce phénomène notamment pour les populations venues d'Afrique subsaharienne, d'Asie, d'Afrique du Nord et des DOM-TOM.

Propos recueillis par Sylvia Zappi

© Le Monde

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