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samedi 1 septembre 2012

Wadjda, petite Saoudienne, fait chavirer la Mostra, Le Monde, 2 septembre 2012

C'est une première mondiale, dans tous les sens du terme : avant qu'il ne soit projeté à Venise, personne n'avait vu Wadjda. Mais avant que Wadjda ne soit tourné, sa réalisatrice, Haifaa Al-Mansour, n'avait jamais dirigé un long-métrage de fiction. D'ailleurs, aucune Saoudienne ne l'avait jamais fait. Lors de la conférence de presse qui a suivi la triomphale projection officielle, vendredi 31 août, Haifaa Al-Mansour a rapproché son entreprise de la présence des athlètes saoudiennes à Londres : " Notre pays est en train de changer. "

Plutôt que de mettre en scène le chemin déjà parcouru, Wadjda montre plutôt celui qui reste à faire. Le film a pour titre le prénom de sa petite héroïne, une écolière qui arrive à l'âge où elle n'a plus le droit de marcher tête nue dans la rue. Sa mère, professeure, vit dans la crainte du second mariage de son époux, et Wadjda dans le désir de s'acheter un vélo, engin réprouvé pour les femmes.

La sensibilité de la mise en scène et le naturel éblouissant de la jeune interprète Waad Mohamed ont emporté l'adhésion de la grande salle du Palais du cinéma vénitien. Tête nue (contrairement à ses consoeurs iraniennes) Haifaa Al-Mansour a accepté l'ovation. Quelques heures plus tard, elle explique comment, elle, huitième d'une fratrie de douze, élevée dans une petite ville d'un royaume ou la projection publique de films est hors la loi, s'est retrouvée derrière une caméra : " Quand j'étais enfant, mon père nous faisait des soirées cinéma, sans doute pour avoir la paix. Je suis tombée amoureuse du cinéma ", se souvient-elle. Après des études à l'université américaine du Caire, elle a réalisé un premier film et suivi des cours de cinéma en Australie. En 2005, son documentaire Women Without Shadows (femmes sans ombre) attire l'attention du prince Al-Walid ben Talal, propriétaire et dirigeant du puissant groupe de communication Rotana qui a coproduit Wadjda. Grâce à cet appui, Haifaa Al-Mansour a pu tourner son film dans les rues de Riyad, même si ce ne fut pas toujours facile : " Dans les quartiers les plus stricts, j'ai dû diriger depuis l'intérieur d'une voiture ",explique-t-elle. Elle se souvient aussi que le spectacle d'une toute jeune fille suivie par un cameraman européen en a scandalisé quelques-unes.

L'espoir du changement

Mais le film, coproduit par la firme allemande Razor Film, a pu être tourné entièrement en Arabie saoudite, selon le désir de son auteure : " Je voulais être au plus près de ma vie, de mon pays ", dit-elle. Wadjda sortira en France, en Allemagne, mais pas en Arabie saoudite, puisqu'il n'y a pas de cinémas. Présent à Venise, Fahad Mohammed Al-Sukait, le PDG de Rotana, veut minimiser la difficulté : " Nous le montrerons sur nos chaînes payantes, il sera distribué en DVD. La censure est moins rigoureuse que par le passé. " Haifaa Al-Mansour a réalisé son film pour qu'il soit vu : " Notre culture est conservatrice et je ne veux pas offenser les gens. Mais si je veux qu'ils m'écoutent, il me faut travailler à l'intérieur du système. " Si elle a raison, on peut espérer que son prochain film sera projeté dans un multiplexe de Riyad.

Thomas Sotinel (Venise, envoyé spécial)

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